Zinzins à Hollywood

Cinéma / Aujourd'hui bien en place, la génération des "cinéastes indépendants de studio" a réussi à bâtir en douceur une alternative crédible aux lois du marché américain. Portrait de groupe. Christophe Chabert


Dans les euphoriques années 70, une poignée de cinéastes s'engouffrent dans la brèche ouverte par le flottement à la tête des studios et tentent de bâtir un "nouvel hollywood" où le metteur en scène s'approprie le système de production pour servir sa vision d'auteur. Leur échec s'est payé cher et le retour de bâton industriel a grevé toute tentative ultérieure de "putsch". Dans les années 80, le cinéma indépendant retourne dans son ghetto pendant que les "anciens" doivent faire leur choix : vendre leur âme au diable (Scorsese, Coppola, De Palma) ou mourir (artistiquement ou littéralement, comme Hal Hashby). 1989 : la Palme d'Or cannoise attribuée à Soderbergh pour Sexe, mensonges et vidéo fait figure de mini-séisme aux conséquences durables. Pour son auteur, qui deviendra un des artisans de l'idée de cinéma indépendant de studio ; pour le cinéma américain, qui redécouvre les vertus du film à petit budget pour public cérébré. Ce sera l'entrée en scène des frères Weinstein avec Miramax, véritable usine à produire du cinéma adulte, biographies culturelles, films à sujets, divertissements décalés (merci Tarantino !) et fresques historico-romantiques. Le succès de Miramax fait des envieux chez les grands studios qui tirent la langue sur des films trop calibrés et des franchises épuisées. Dernier acte de cette mini-révolution de velours : le triomphe de Sixième sens, écrit, produit et réalisé par l'inconnu M. Night Shyamalan envers et contre toutes les règles narratives et esthétiques d'Hollywood.L'école du rire tristeÀ l'aube du XXIe siècle, tout est prêt pour entrer dans une nouvelle ère où les studios créent leur filière "indépendante". Columbia fonde Sony Classics, la Fox lance Fox Searchlight qui abrite Section Eight animée par George Clooney et Steven Soderbergh ; récemment, Warner s'y est mis à son tour avec Warner Independant Pictures. Chacun va débaucher quelques cinéastes novateurs pour leur donner carte blanche avec un budget raisonnable mais confortable. Surprise : plus que des individualités travaillant un pied dans et un pied hors du système, c'est aujourd'hui une véritable école qui s'affirme dans le cinéma américain. On citera quelques noms : Wes Anderson et son homonyme P. T. Anderson, David O'Russell et ses copains Catherine Hardwick, Kimberley Pierce ou Alexander Payne, les ex-clippeurs Sofia Coppola, Spike Jonze et Michel Gondry... Ils emmènent avec eux une famille d'acteurs recomposée : Bill Murray, Paul Giammati, Jason Schwartzman, Owen Wilson... Et, surtout, ils créent un style qui sied aux paysages humains qu'ils explorent : l'étalon en serait ce plan fixe frontal et statique où le personnage, généralement en rupture de banc social, affectif ou spirituel, semble renvoyer au spectateur le vide dépressif qui est le sien. Des personnages à mille lieux des "héros" de blockbusters, fragiles et inquiets, explorant les failles de leur existence avec cette drôle de tristesse qui nous les fait tant aimer.


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Mathieu cœur de bois