Garden State


Critique (2) / Complètement défoncé au lithium depuis l'âge de 10 ans, apathique au dernier degré, acteur sans rôle devenu serveur de pacotille dans un restau vietnamien, Andrew Largeman se réveille un matin après un cauchemar de crash aérien en apprenant sur son répondeur la mort de sa mère. Réminiscence de L'Étranger ? Peut-être bien, mais dans ce premier film écrit, réalisé et interprété par Zach Braff, Camus va faire un tour chez Philip Roth dans le trou du cul de l'Amérique. Braff invente d'abord un style, qui n'est pas sans faire écho à d'autres cinéastes contemporains : plans-cases qui finissent par former des scènes-planches comme dans une bédé de Clowes ou Thomson ; situations pittoresques ou pathétiques où un inadapté doit s'inviter chez d'autres inadaptés et essayer de briser la glace ; enfin, retour à l'enfance et au trauma fondateur qu'il faut exhumer des limbes familiales pour espérer le dépasser et recommencer à vivre. La famille Largeman vaut bien les Tennenbaum, à ceci près que Zach Braff charge le portrait jusqu'à l'absurde (Camus encore !), comme lors de cette scène d'orgie en accéléré qui se termine au petit matin par l'irruption d'un chevalier en armure dans le living room. Ce goût du bizarre, que Braff maîtrise à la perfection, n'est par chance qu'un tremplin vers une émotion plus profonde. Car plus le film avance, plus ses freaks deviennent sympathiques, simples, normaux : à commencer par ce beau couple qui se forme en douceur entre Andrew et Sam (sublime Natalie Portman), démarré à la clinique en écoutant The Shins, puis abouti au bord d'une étrange faille géologique où vit un moderne Noé qui attend le déluge les bras croisés. Le tour de force de Garden State, c'est de tenir entièrement sur les épaules de Braff : comme auteur, il parvient à faire sonner des dialogues d'une efficacité exemplaire dans des situations hautement périlleuses (le frère noir de Sam, la confrontation avec le père, ogre docile et partisan du bonheur médicalisé) ; comme metteur en scène, il millimètre très précisément ses effets, qu'ils soient burlesques (la chemise assortie aux murs, la piscine géante...) ou plus poétiques (la danse de Sam pour chasser le déjà-vu) sinon discrètement politiques (la collection des vignettes de la première guerre du Golfe) ; enfin, comme acteur, il rend touchant, attachant et proche cet Andrew et son parcours du bafouillement timide au lâcher prise amoureux, de soi au monde. On appelle ça une révélation...CC


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"Un film sur la musique du langage"