Pipi, caca, bébé

Théâtre / La compagnie vendéenne Le Menteur Volontaire adapte une pièce en un acte de Feydeau, On purge bébé, sous le signe de l'excès et du grotesque. Christophe Chabert


Combien avons-nous vu d'adaptations de Feydeau en trois ans ? Depuis que le théâtre public a décidé d'anoblir l'auteur, longtemps laissé entre les mains des pitres professionnels du théâtre de boulevard, on a du Feydeau à toutes les sauces et sous toutes les coutures... Jeunes metteurs en scènes et piliers indéboulonnables œuvrent tous à faire reconnaître le génie de ce diabolique tricoteur d'imbroglios provoquant des réactions en chaîne aux conséquences graduellement désastreuses, screwball comedies avant l'heure obéissant à une logique presque mathématique. Laurent Brethome et sa compagnie Le Menteur Volontaire ont choisi de s'attaquer non pas à ses ambitieux vaudevilles au long cours, mais à une comédie en un acte, On purge bébé. Unité de temps, unité de lieu, peu de personnages mais toujours la même science de la boule-de-neige : bébé n'a pas fait ce matin et refuse de prendre sa purge ; ses parents se disputent sur qui va devoir accomplir la sale besogne ; papa, fabricant de porcelaine, attend la visite d'un client important travaillant pour le ministère de la guerre qui, par ailleurs, est cocu. De la purge à la chienlit, il y a de nombreux pas que Feydeau franchit par un mot, un geste, une attitude dont les effets seront démesurés.On purge le théâtreCette démesure, Brethome la souligne sur scène, l'outre jusqu'à l'overdose, produisant un théâtre du grotesque où tout peut basculer dans l'énaurme. Chaises trop basses, cravates trop courtes, bébé trop vieux, fonctionnaire trop chauve, cris trop aigus et bassine trop pleine : l'excès se fait parti-pris de mise en scène. Parfois, c'en est trop aussi pour le spectateur (dialogues appuyés dans leurs sous-entendus, amant représenté en phallus sur patte...) ; mais cette fixette hallucinée sur le vulgaire, le sale et le pathétique finit par mettre en valeur le texte de Feydeau. Car même si Brethome, en faisant durer dans sa mise en scène ce qui chez l'auteur relève de l'enchaînement mitraillette, essaye de transformer en pantomime burlesque le comique précis des situations, l'audace originelle d'On purge bébé résiste à cette littéralité-là. Dans cette pièce, Feydeau déballe l'air de rien les atours les moins ragoûtants de cette petite bourgeoisie qu'il n'a cessé de peindre dans son théâtre : pipi de madame, caca de bébé, pot de chambre de monsieur, lavements du client... Les allusions feutrées de Feydeau deviennent sous les assauts de la troupe une plongée scato dans l'intimité déballée au grand jour d'un couple propre sur lui mais très crade à l'intérieur, sachant que ces intérieurs-là ont tendance à déborder, fuir de partout et finalement éclabousser tout le monde. Un conseil : ne vous mettez pas au premier rang !On purge bébéDe Georges Feydeau, mise en scène Laurent BrethomeÀ l'Élysée du 6 au 9 et du 12 au 16 avril


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