Chienne d'envie !

Théâtre / Avec Le Chien et l'Atelier, réunion de deux textes qui se regardent en champ-contrechamp, Michel Raskine montre que son désir de théâtre est toujours intact, même appliqué à un matériau plutôt mineur. Christophe Chabert


Le nouveau spectacle de Michel Raskine, c'est une bonne nouvelle, respire l'envie d'inventer et de surprendre. Dans Le Chien et l'Atelier, il croise deux textes qui finissent par n'en former qu'un seul, comme si le metteur en scène, que l'on sait très cinéphile, avait utilisé l'un pour faire un gros plan à l'intérieur de l'autre. Commençons par le plan large : des extraits d'un texte écrit par Jean Genet sur l'artiste Alberto Giacometti. Raskine distribue le formidable Thierry Gibault dans le rôle de Genet lui-même, exposant devant un pupitre ses réflexions sur l'œuvre de Giacometti, puis lui rendant visite dans son atelier. Belle idée : c'est Marief Guittier, toujours prompte à endosser les contre-emplois impossibles, qui campe Giacometti avec humour et panache. Le gros plan ensuite : Giacometti aurait vécu une relation avec une vieille clocharde abîmée par l'existence. Cette anecdote, Dea Loher (dramaturge allemande devenue auteur de prédilection de Raskine depuis quelques années) en a tiré une courte pièce où un "voleur boiteux" se rend chez une "putain aveugle" qui attend la visite d'un certain "Alberto". Les mêmes acteurs jouent ses deux personnages d'écorchés vifs (un troisième, Jean-Louis Delorme, faisant figure de chœur), dans une valse sombre et cruelle comme Loher s'en est fait une spécialité.Jeu de focalesMauvaise nouvelle : cette spécialité-là n'est pas évidente à encaisser. Comme dans les claustrophobes Relations de Claire, la désespérance du propos finit par provoquer une sensation d'étouffement. Heureusement, et c'est là que l'envie de Raskine est plus forte que les limites des textes qu'il adapte, le metteur en scène a judicieusement placé Chien ! en début de spectacle. Les obscurités et la violence du propos sont contrebalancées par la deuxième partie, qui revient à une forme de fantaisie ludique et déconstruite, un plaisir du jeu sous toutes ses facettes qui manquait jusque-là. On a cependant gardé le meilleur du spectacle pour la fin. Car ce travail de courte et de longue focales est aussi une belle trouvaille de mise en scène. D'abord confiné sur des bancs sévères installés sur la scène (les acteurs jouant dans une salle quasi-nue), le public "twiste" à l'entracte et se retrouve dans l'autre sens (tandis que les acteurs continuent d'aller et venir sur et hors du plateau). Ce champ-contrechamp scénique, aussi ludique qu'audacieux, permet à Raskine de montrer au spectateur les échafaudages de son théâtre, retrouvant cette forme de distanciation légère qui lui tient tant à cœur. Raskine est peut-être à court de textes forts, mais son désir de théâtre est encore là, et pour longtemps.Le Chien et l'AtelierDe Dea Loher et Jean Genet, mise en scène Michel RaskineAu Point du Jour jusqu'au 3 avril


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