Pater noster et arrière-garde

Théâtre / Un bien joli texte et une mise en scène bien peu révolutionnaire, Père est une tragédie tout ce qu'il y a de plus propre. En dépit d'une excellente distribution, la pièce manque d'ampleur, transsformant Père en petit drame aux longueurs désarmantes. Dorotée Aznar


Oublions un instant que le Théâtre National Populaire se couche dans le lit du drame bourgeois et que l'acte créateur ne se donne plus pour objectif d'être novateur. Cessons de vouloir être surpris et entrons dans le texte d'Auguste Strindberg. Père est un petit bijou. Un capitaine et son épouse, Laura, ne parviennent pas à se mettre d'accord au sujet de l'éducation de Bertha, leur fille. Le capitaine, qui a délaissé Dieu pour la science, veut lui donner une éducation laïque et l'envoyer en ville pour qu'elle devienne institutrice, tandis que Laura veut l'élever selon ses propres convictions et lui faire étudier la peinture. L'homme ayant pleins droits sur sa progéniture, Laura va devoir entrer dans un rapport de force qui tournera bientôt à son avantage. Elle va faire douter son mari de sa paternité, le faire passer pour fou aux yeux de tous et réclamer son internement. Une horreur conjugale, chronique d'une haine ordinaire imposée par la société, recherchée par ses victimes comme l'unique salut. Entre pouvoir et dépendance, la procréation apparaît comme un remède à la finitude et la progéniture comme seul accès à l'éternité. L'œuvre interroge l'au-delà pour en souligner la cruelle démission, un questionnement sur l'amour, sur l'impossible fusion et l'illusion de la complémentarité. Tiède, mou et confortable
La mise en scène n'ajoute rien à l'œuvre. Le décor, épuré au possible, évoque la solitude de ces êtres forcés à cohabiter, accentuée par une pesante lumière verte, blafarde, seul éclairage pendant la pièce. À peine quelques meubles et une toile en guise de faux-plafond font peser sur les personnages les lourdeurs des cieux. La distribution est sans conteste le point fort de la pièce, soutenue par Johan Leysen dans le rôle du Capitaine et Nada Strancar, qui interprète avec brio l'odieux personnage de Laura que l'on voudrait tant ne pas aimer. Mais, comme Strindberg l'avait jadis voulu, Christian Schiaretti choisit de "laisser la pièce s'écouler doucement, d'un mouvement égal". Le texte s'appuie sur la répétition pour suggérer l'inexorable destruction d'un couple, dont les disputes n'ont plus d'autre objet que l'acte même de la dispute. Mais si l'œuvre est brutale, la mise en scène s'écoule mollement et l'on n'évite pas les longueurs. On trésaille à peine quand l'inceste s'invite subrepticement sur scène. On regrette que la folie, savamment distillée par Strindberg, soit comme jugulée par la scène, que l'intensité dramatique retombe immanquablement. La tragédie devient un drame bourgeois douillet (celui qu'on s'était promis d'oublier au départ et qui refait inexorablement surface), où il fait presque bon de se laisser surprendre à errer.Père
De August Strindberg, mise en scène Christian Schiaretti
Au Théâtre National Populaire


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