Mitterrand par omissions


Commentaire / Le cinéaste le plus gauchiste du cinéma français s'attaquant à celui qu'on a accusé d'avoir tué la gauche : le face à face Guédiguian-Mitterrand aurait pu être saignant. Il n'en sera rien. Aussi subtil qu'étrangement prudent, Guédiguian a choisi une autre voie : celle du portrait intime dont le paysage politique ne se dessine que par allusions. La Bosnie, les écoutes téléphoniques, la jeunesse à Vichy, l'attachement à la classe ouvrière (auprès de laquelle, rappelons-le à l'intelligentsia parisienne et aux socialistes d'après l'inventaire, Mitterrand n'a cessé d'être populaire), la démission du politique face à la globalisation économique : autant de thèmes que Guédiguian glisse aux détours d'un dialogue ou d'un discours, curieusement le plus souvent à l'avantage de l'ancien président. On peut toutefois s'interroger sur quelques omissions, et pas des moindres : pas un mot, même allusif, sur la politique française en Afrique et la responsabilité de Mitterrand dans le génocide du Rwanda ; pas un mot non plus sur les derniers grands discours contre les nationalismes en Europe et pour l'amitié franco-allemande (notamment en distinguant le peuple allemand des soldats nazis pendant la deuxième guerre mondiale). Le Promeneur du champ de mars, sans doute du fait du parisianisme de Benamou, reste un film franco-français, préférant montrer les vœux pour le nouvel an à la nation que les discours de politique étrangère. Mais il est une autre facette de Mitterrand, on ne peut plus intime celle-là, qui manque à l'appel : si Mitterrand était le fin tacticien et le grand séducteur qu'on connaît, il était aussi un homme trop facilement séduit. Sa fascination pour l'humanité jusque dans sa part d'ombre, son culte de l'amitié, l'amenaient parfois à se laisser berner par la première des crapules (souvenez-vous, Nanard Tapie, ministre de la ville !) ou à goûter la compagnie des chiens-chiens de courtisans (à commencer par Benamou). C'est ce qu'ont très bien su pointer Pierre Péan ou Jean Lacouture dans leurs livres respectifs (Une jeunesse française et Mitterrand, une histoire de français). La séduction se fait parfois prendre à son propre piège. LH


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"Mitterrand est une allégorie"