Le Promeneur du Champ de Mars


Critique / La réussite du nouveau film de Robert Guédiguian ne tient pas dans une suite de challenges relevés et de maladresses évitées. On attendait une œuvre polémique, et c'est à une réhabilitation du dernier Mitterrand (jamais nommé, comme les membres de sa tribu) que se livre le cinéaste marseillais. On l'imaginait louvoyant entre les sujets, laissant de côté les questions qui fâchent, mais son portrait aborde presque toutes les facettes de Mitterrand, la jeunesse trouble, l'union de la gauche, la maladie, l'obsession des femmes et même, discrète allusion, les écoutes téléphoniques. Dernière surprise : on pensait voir un drame, alors que Le Promeneur du Champ de Mars est une comédie. La modestie de Guédiguian face à l'imposante légende de son personnage est un mélange de déférence et de pragmatisme. L'admiration transpire dans quelques très belles scènes où le Président est décrit comme un orateur hors pair mais aussi comme un mystique tardif, ce qui n'est pas pour déplaire au cinéaste, dont les films sont de plus en plus ouvertement tournés vers le sacré. Quant au pragmatisme, il consiste à élaborer une mise en scène classique pour insuffler du rythme à ce qui n'est finalement qu'une suite de conversations ordinaires avec un homme extraordinaire. En cela, la séquence du repas d'anniversaire est un moment terrible, la cruauté sympathique du Président atteignant son acmé. Quand le film s'éloigne de cette joute verbale pour suivre les péripéties amoureuses d'Antoine (Jalil Lespert joue à peu près bien le seul rôle qu'il semble capable d'endosser, celui de l'endive au jambon mi-cuite), il devient sérieusement gonflant. L'équilibrisme de Guédiguian est donc périlleux, mais il virerait au saut sans élastique s'il n'était porté par un véritable acrobate : Michel Bouquet, admirable, apporte au film toute l'ambiguïté nécessaire pour représenter la figure mitterrandienne. Plus qu'une ressemblance avec son modèle, Bouquet amène son passé de salaud attachant qu'il a joué depuis 50 ans. Son regard perçant et narquois, son sourire charmeur et menaçant, sa fragilité physique, sa voix de corbeau : il vampirise l'écran et trouve ici le plus grand rôle de sa carrière. CC


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Mitterrand par omissions