Son cœur se traîne, oh ! Antonia...

Café-Théâtre / Avec Itinéraire d'une enfant ratée, Antonia de Rendinger fait preuve d'un certain aplomb pour croquer et incarner une galerie de personnages d'aujourd'hui. Une révélation. Christophe Chabert


Itinéraire d'une enfant ratée, le one-woman-show d'Antonia de Rendinger, part mal. Très mal, même. Deux premiers "sketchs" qui n'arrivent pas à décrocher un sourire, confrontation perplexe avec Grace Monterland, presque trentenaire qui, le soir de son anniversaire, tente misérablement de convier le patron du PMU d'en bas à manger chez elle "une pintade braisée aux endives" avant de finir seule avec ses trois chats, attendant désespérément que le téléphone sonne. Pendant ces dix minutes un peu douloureuses car trop éculées, on repense au CV de la demoiselle : alsacienne d'origine, formation théâtrale classique, bifurcation vers l'improvisation, premiers pas au café-théâtre et, pour l'anecdote, voix-off du magazine Tracks sur arte... Autant de raisons de prendre son mal en patience et attendre la suite...Grâce comiqueEt là, surprise, tout prend son envol. Dès sa première "transfiguration" en vendeuse chez Zara, Antonia de Rendinger trouve ses marques, son ton, et le spectacle son efficacité comique. On admire d'abord l'amplitude vocale de la comédienne, capable de passer des aigus d'une petite fille de 6 ans aux graves d'un pseudo-artiste égocentrique et rigoureusement crétin. Dans cette ronde de portraits aussi bien observés que dans les séries télé américaines pour "cupines" (le côté Ally MacBeal-Bridget Jones du spectacle), ce qui impressionne le plus, c'est la dextérité de l'actrice pour faire vivre dans le même mouvement et sans en rajouter, les personnages et l'espace dans lequel ils évoluent. Deux passages sont mémorables : le premier, où Grace doit mettre en scène une vie de Jésus avec d'insupportables mouflets récalcitrants. Sans en jouer aucun, elle les fait exister tous, et à un rythme d'enfer ; deuxième performance, quand elle orchestre sa métamorphose sur une piste de danse devant une copine ébahie. D'un bout à l'autre de la pourtant étroite scène, elle se démultiplie avec un incontestable talent. Bref, le plaisir est ici celui d'une pure actrice, pensant son jeu par-delà les gimmicks comiques d'un texte qui, par ailleurs, s'avère fort bien écrit, comme en témoigne le moment le plus percutant du spectacle, où Antonia de Rendinger tente d'inventer des slogans pour poupées Barbie réalistes et engagées. Pas un gramme de vulgarité dans cet exercice casse-gueule dont elle se sort avec un réel aplomb. On aura rarement vu spectacle revenir de si loin et atterrir aussi bien, la chrysalide devenant papillon sous nos yeux rieurs, émus et reconnaissants.Itinéraire d'une enfant ratéeDe et par Antonia de RendingerAu Boui Boui jusqu'au 26 février


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