Glenn Ferris : In the Mood for Trombone

Glenn Ferris, artiste caméléon, figure incontournable de la scène jazz contemporaine, collaborateur des plus grands (des Beach Boys aussi, mais bon). François Cau


Au début des années 60, le pari n'était pas gagné d'avance. Alors que les scènes jazz américaines font exploser leurs cuivres aux quatre coins du pays, un gosse de Los Angeles rêve en cachette de greffer les glissements du trombone aux feulements et caresses de l'équation magique trompette + saxo. A priori, l'instrument est peu propice aux expérimentations aériennes ou autres impros déchaînées ; ce serait même un engin contondant ne laissant aucune place à une quelconque grâce pour les plus obtus. Pourtant, lors d'un concert de l'Orchestre Philharmonique de sa ville natale, Glenn Ferris est tombé illico en adoration devant son futur instrument de prédilection. Il a huit ans, sa voie vient de se tracer avec évidence. Il démarre l'apprentissage du trombone, et étudie parallèlement la musique classique. Il passe la vitesse supérieure en 1964 et se dirige vers la théorie du jazz, ses impros et ses compos ; son prof, Don Ellis (surtout connu aujourd'hui pour son exemplaire bande originale de French Connection), lui fera sauter le pas en le propulsant tromboniste soliste de son Big Band dès 1966. Glenn Ferris a seize ans, et développe déjà une boulimie musicale hors norme. Paris en ligne de mirePas tout à fait sevré des influences orientales de son sextet Hindustani Jazz, le Big Band de Don Ellis est un patchwork fourmillant, fort d'une section cuivre à toute épreuve, mêlant énergie pop et contemplations lounge avec un bonheur égal (comme peut en témoigner l'album Electric Bath). Au sein de la formation, Glenn Ferris apprend scrupuleusement toutes ses leçons, mais garde les yeux grand ouverts sur l'extérieur. Il prend l'habitude d'aller seul au cinéma, et se construit le fantasme d'une Europe de tous les possibles musicaux, avec pour obsession majeure cette envie mordante de devenir un jazzman parisien. Un idéal romantique à la Truffaut, qui ne l'empêche cependant pas de se pencher sur d'autres sons, le rock en particulier. Avisé de son engouement en la matière, George Duke, le pianiste du Big Band, lui présente Franck Zappa. Coup de cœur, falling in love, le grand Franck lui fait incorporer son Grand Wazoo Orchestra. Ferris n'apparaîtra pas sur l'album, mais peu importe : pendant huit mois, il scrute le maître Zappa en plein ouvrage. Il s'imprègne de sa rigueur méthodique, de son adaptation à chaque instrument, observe son omniscience jusque dans le moindre solo. Elève exemplaire, Ferris rejoindra l'aventure scénique des Mothers of Invention du même Zappa. Il garde ses aspirations européennes bien en vue, et enchaîne les collaborations live et studio à un rythme incontrôlable. Stevie Wonder, John Abercrombie, Tim Buckley, Lou Rawls... Un tableau de chasse déjà imposant, et Ferris n'en est qu'à la moitié américaine de sa carrière. Une belle revanche sur les nombreux suspicieux qui n'accordaient que peu de crédits aux velléités scéniques du trombone. A fleur de peauGlenn Ferris, via ses solos dans différents groupes ou dans ses propres formations (pléthoriques elles aussi), leur répond avec nonchalance. A mille lieux des clichés d'un instrument laborieux, dont le public ne retiendrait que la difficulté manifeste du maniement, Ferris fait vibrer et voyager. Il fait entendre sa propre voix, fait chanter son trombone de ses compositions influencées free ; dans ses envolées les plus planantes, il n'aime rien tant que faire entendre son souffle, entrelacé sensuellement à ses mélodies. Même lors de ses collaborations les moins marquantes, il s'échine à donner le meilleur de lui-même ("Les Beach Boys ou James Taylor, ça ne m'intéressait guère. Il n'est pas évident de bien jouer ces musiques-là... Si tu fais partie d'un groupe de merde, tu dois essayer de faire de la merde bien"). En 1980, ses talents affirmés, reconnus, éclatant au zénith de la scène internationale, lui permettent d'enfin accomplir son rêve. Il s'installe en France où il donne des cours dans diverses universités, et entame sa vie de bohème comme il la rêvait depuis quelques années, seul devant un vieux film français noir et blanc. Il tourne en Europe et en Asie, complète la liste de ses collaborations musicales dans des proportions grandiloquentes (on vous épargne la liste), et devient le tromboniste incontournable de toute la planète jazz et de ses ramifications. En se penchant sur ses dernières années, on pourrait piocher de la CDthèque idéale son travail avec Henri Texier, son trio avec Vincent Segal et Bruno Rousselet (l'album Flesh & Stone), ses partages en vrille au sein de l'épisodique Palatino Quartet ; ou encore, pour coller à l'actualité la plus bouillante, ce dernier CD sorti il y a de ça un mois, Skin Me !. Fort d'un quintet voué à retrouver l'essence des émotions jazz de par sa composition (trombone, piano, sax ténor, contrebasse, batterie), Glenn Ferris nous a une nouvelle fois gratifié d'un splendide cadeau sonore, dont on attend l'apothéose scénique avec délectation. Glenn Ferris et le pentessence quintet"Skin me !" (Naïve)


<< article précédent
Musique live, images vivantes