Culture kids

Enquête / Objets des attentions des programmateurs, les enfants ne constituent plus seulement le public de demain, mais un public à part entière. La demande des parents est grandissante et l'offre, si elle abonde dans le domaine de l'animation, semble s'essouffler dans le domaine artistique et culturel. Dorotée Aznar


Le jeune public est l'objet de toutes les attentions à Lyon. La plupart des salles ont une programmation spécifique, même l'Opéra et la Maison de la Danse n'y coupent pas. Le jeune public est un marché porteur où la demande surpasse l'offre. On ne peut pourtant parler d'offre globale et il s'agit de distinguer deux formes de programmation jeune public. La première est fondée principalement sur le divertissement, l'animation. La seconde participe pleinement d'une volonté culturelle, d'initiation aux pratiques artistiques ou de transmission d'un savoir. Pour l'animation, parallèlement aux opérations d'envergure organisées ponctuellement par la municipalité, les bibliothèques mettent en place des activités destinées aux plus jeunes. Bibliothèque du 1er arrondissement, de la Part Dieu, médiathèque de Vaise... et même Musée Gadagne et Musée des Beaux-Arts, les enfants ne manquent pas de sollicitation. Du côté des infrastructures, la ville semble particulièrement bien dotée avec la présence du Quai des Ludes, plus grande ludothèque de France, et d'un centre dramatique national destiné à l'enfance (le Théâtre Nouvelle Génération). C'est d'ailleurs incontestablement dans le domaine du théâtre jeune public que la ville affiche sa prédominance. Biennale du théâtre jeune public, festival "scènes ouvertes" organisé par le Théâtre des Clochards Célestes, la ville attire le jeune public de toute la région. Chez la plupart des professionnels, on retrouve un même rejet de l'animation, des spectacles bêtifiants et une volonté évidente de faire du théâtre tout public. Cette ligne de conduite se retrouve aussi bien au TNG que dans des théâtres de plus petite envergure. Elisabeth Saint-Blancat, directrice artistique du théâtre des Clochards Célestes, insiste sur ce point : "Nos spectacles fonctionnent à plusieurs niveaux, choisir des spectacles qui peuvent également être vus par les adultes constitue selon moi un gage de qualité", explique-t-elle. D'ailleurs ce théâtre ne se destine pas uniquement au jeune public, la moitié de ses spectacles s'adresse aux adultes. "Les spectacles pour adultes ne sont pas tous visibles par les enfants mais l'inverse doit être vrai", tient à souligner la directrice artistique. Et même les guignols s'y mettent. Daniel Streble, responsable du théâtre de guignol à la Croix-Rousse, refuse de sacrifier le sens à la mise en scène. "Les enfants de deux ans ne comprennent pas tout, cependant, ils peuvent suivre l'action grâce au visuel, je m'adapte au public mais je ne veux pas trahir la tradition".La petite enfance, nouvelle tendanceLa diversification des grilles de lecture semble désormais faire l'unanimité. Le vrai changement dans les programmations est le développement d'une offre spécifique aux moins de six ans, longtemps oubliés ou considérés comme un "sous-public". Une tendance somme toute circonscrite, étant donné qu'à l'exclusion des multiples guignols de Lyon, des salles de quartiers et du TNG, seuls les Clochards Célestes affichent une programmation suivie pour les enfants âgés de 1 à 6 ans. La demande est pourtant très forte : "Après six ans, les enfants sont scolarisés et vont au théâtre avec l'école, c'est donc avant, pendant la toute petite enfance que les parents se sentent investis d'une réelle mission éducative et culturelle", commente la directrice artistique des Clochards Célestes. Cette demande forte tend à créer l'offre, ce qui n'est pas sans risque. Un programmateur voit en moyenne une dizaine de spectacles avant d'en retenir un. Le foisonnement nécessite une vigilance extrême, d'autant plus que le jeune public est facile à séduire. Attention permanente à la qualité des spectacles proposés et manque de moyens semblent être les maîtres mots du travail en direction du jeune public. En effet, les animations culturelles pour le jeune public relèvent principalement de l'initiative privée, voire de l'initiative personnelle. C'est ce qu'explique Véronique Desroches, responsable de l'espace Tonkin de Villeurbanne et initiatrice du festival de marionnettes Têtes de Bois : "Je vois l'Espace Tonkin comme un lieu de résistance. En effet, les régions ont moins d'argent, le militantisme culturel est beaucoup moins fort qu'avant et de nombreux postes sont supprimés. Travailler en direction du jeune public est un investissement personnel total."Formatage culturelLa culture jeune public semble s'essouffler. Beaucoup de responsables de redoutent l'arrivée à grands pas d'un formatage culturel. "Dans les collèges, l'art n'existe pas", regrette Véronique Desroches, alors même que "la diffusion de spectacles dans les écoles reste un événement fondateur pour beaucoup d'entre eux et notamment les plus défavorisés". "L'art est une nécessité pour l'enfant car il lui apporte la preuve que l'on n'a pas à reproduire ce qu'on lui a appris", ajoute-t-elle. Sauf à ce que l'art n'assume plus ses fonctions de recherche d'inventivité. Michel Dieuaide, directeur artistique de la Biennale du Théâtre Jeune Public, regrette quant à lui le formatage économique des productions réservées au plus jeunes. "Les textes qui mettent en scène plus de cinq comédiens sont condamnés en France puisque l'on n'a pas les moyens de les monter. Le résultat, c'est un formatage culturel inquiétant et détestable à la fois pour les artistes et le public. D'autant plus regrettable qu'il est sans rapport avec le travail de grande qualité proposé par les artistes". La sonnette d'alarme est tirée.


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