Warhol est vivant !

On croyait tout connaître de Warhol, l'un des artistes les plus célèbres du XXe Siècle. L'exposition d'envergure au MAC nous dévoile la part méconnue, voire maudite, de son œuvre, le "deuxième Warhol" et son retour à la peinture. Des œuvres tardives rien moins qu'époustouflantes... Jean-Emmanuel Denave


Grand chamboulement dans le monde de l'art. Culture sens dessus dessous. Le Pop et son pape, Andy Warhol (son catholicisme n'a rien d'anecdotique), élèvent la culture populaire et l'iconographie mass-médiatique au rang de l'art. Lissage du haut et du bas, du grand et du petit art, sur une même surface plane éclatant de couleurs vives. C'est le Warhol archi connu des années 1960, le Warhol des soupes Campbell et des boîtes Brillo, des sérigraphies d'Elvis, Marylin, Liz, Jackie... Le Warhol aussi des accidents de voiture, des chaises électriques, des crash aériens, des bombes atomiques et des Fugitifs activement recherchés (avec déjà sur ses toiles : la mort au travail, l'angoisse et la noirceur du monde sur la même trame que le beau sourire de Liz Taylor). Mais c'est le Warhol que vous ne verrez pas dans l'ambitieuse exposition du Musée d'art contemporain. Andy Warhol, l'œuvre ultime présente en effet la seconde partie, méconnue, de la carrière de l'artiste. En 1972, Warhol "revient" à la peinture qu'il avait prétendument abandonnée en 1965 pour se consacrer au cinéma. À partir de 1972 et jusqu'à sa mort en 1987, Warhol reprend polaroïd, sérigraphie et acrylique, pour réaliser deux types de tableaux : d'une part, des portraits de commande qui lui assurent l'essentiel de ses revenus ; des toiles beaucoup plus "personnelles" d'autre part, marquées par l'angoisse de la mort et par l'abstraction. Ces peintures, très décriées par la critique et le milieu artistique de l'époque, constituent l'ossature de l'exposition du MAC.

Entre Mao et le Christ

Première salle : premier choc ! La série des Mao fait face à celle, éblouissante, des Sunset (couchers de soleil). Le MAC ne garde pas le meilleur pour la fin, mais pour le début : ces couchers de soleil réduits à l'essentiel, vibrant d'infinies variations de couleurs vives, constituent l'une des œuvres les plus bouleversantes de l'exposition... Cri de beauté lumineuse et appel à la méditation mêlés, disparition de la figuration à l'horizon et "lever" de l'abstraction. Une abstraction que l'on retrouve tout de suite après avec les Oxidation : Warhol et ses amis ont joyeusement pissé sur de la poudre de cuivre pour donner forme à d'étonnants méandres et tâches verdâtres parmi la surface couleur rouille des toiles. La suite du parcours, thématique et non chronologique, réserve encore bien des temps forts... Une série de Mona Lisa voisinant avec plusieurs Torsos (des peintures de fesses en gros plan), clin d'œil humoristique des commissaires d'expo à la Mona Lisa moustachue de Duchamp titrée LHOOQ ; une salle consacrée aux autoportraits dédoublés de l'artiste ainsi qu'aux portraits de travestis anonymes ou de Josef Beuys ; la petite série des Shadows (quel dommage que le musée n'ait pu en rassembler davantage - d'ailleurs, seul bémol, certaines séries auraient gagné à être plus étoffées), ombres émanant étrangement d'aucun objet que l'on découvre avec émotion dans la pénombre ; les trois Skulls (crânes) entourant un Gun tremblé sur fond orange ; la grande salle consacrée aux dernières toiles de l'artiste, quelque peu prémonitoires : deux Last Supper (d'après La Cène de Léonard de Vinci), The Last Supper-The Big C (toile de dix mètres de long où le Christ se mêle à l'univers de la Harley Davidson), deux grandes toiles en vis-à-vis reproduisant les fameuses tâches du test de Rorschach. Sur 2500 m de surface d'exposition, on en prend plein la vue avec frissons de couleur à l'appui, mises en abîme, exploration de domaines inattendus chez l'artiste, sans compter la confrontation physique avec des œuvres monumentales. De plus, l'accrochage est assez jubilatoire, imitant des accrochages historiques avec des cimaises recouvertes des différents papiers peints conçus par l'artiste, n'hésitant pas à badigeonner les murs de couleurs vives, ménageant ici et là quelques salles obscures où sont projetés des films de Warhol (L'Amour, Heat...), mêlant aux peintures des écrans plats diffusant les émissions TV de Warhol, présentant enfin un grand nombre de photographies et de planches contact inédites d'un artiste qui n'eut de cesse d'enregistrer sur bande sonore, film ou papier photo, tout ce qui vibrait autour de lui.

Libération de vitesses, de surfaces, de simulacres

Warhol est à l'origine d'une imagerie qui constitue une véritable rupture dans l'histoire de l'art, ou plutôt des images. Lorsque Warhol déclare : "Je veux être une machine", c'est sans doute d'une machine à laver, essorer, teindre, repasser, amincir et recycler les images dont il s'agit. Car même lorsqu'il s'attaque à des thématiques plus profondes ou métaphysiques, Warhol les traite avec la même vitesse de surface, la même libération de simulacres que dans ses toiles de la période Pop. À force de copies de copies, à force de séries, à force de rires et d'ironie légère, la grande machine-usine Warhol à la fois réduit et élève l'image à ses purs effets de surface. Good bye auteur, pathos, psychologie, composition, sens caché... Hello simulacres à l'air libre, poudres graciles, minceurs, reflets et ombres détachés de tout référent, de tout réel. "Je suis profondément superficiel" dit encore Warhol, et c'est l'une de ses plus belles phrases. Car, les choses les plus profondes et les plus graves (la mort, l'angoisse, la croyance...) sont abordées à partir de ceci, qui est aussi notre mode actuel de rapport au monde : la peau, la surface, le simulacre. Derrière un simulacre, il n'y a jamais rien d'autre qu'un autre simulacre, et ce à l'infini. Ce vertige dont a su se saisir Warhol est aussi celui qui nous traverse en regardant ses œuvres.

Andy Warhol, L'œuvre ultime
Au Musée d'art contemporain jusqu'au 8 mai.


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