Un siècle dans la forêt


Théâtre / Avec Le Génie de la Forêt, Tchékhov illustre la comédie du malheur. Petits bourgeois, intellectuels mous, province étouffante, ambiances familiales délétères, la médiocrité et l'ennui se disputent la vedette. Dans son adaptation, Roger Planchon exploite à loisir les frustrations de l'enfermement et de l'intolérable quotidienneté. Décors, lumières, mise en scène, c'est propre, c'est joli, c'est appliqué. Une distribution judicieuse (le plus souvent) permet de donner de l'envergure à ce petit meurtre entre amis dont l'optimisme final ne lasse pas de se laisser aller à détester un peu plus la nature humaine, celle des personnages de Tchékhov, ni bons ni mauvais, pas plus malins que son voisin de pallier, tranquillement occupés à détruire leurs proches dans leur égoïsme profond, aveugles aux souffrances et entraînés dans une inexorable logique du pire. Bonheurs éphémères, amours dérisoires et noces célébrées sur dépouille encore tiède, c'est finalement la bonne humeur du texte qui dérange. Le génie de la forêt, écologiste avant l'heure qui à force de trop aimer les feuilles et les petits oiseaux finit par ne plus aimer les hommes (personnage admirablement interprété par Thomas Cousseau) est la figure aussi anachronique que détestable choisie par l'auteur pour porter l'espoir. Espoir dont finalement on se passerait bien. Détail bassement matériel enfin, la durée du spectacle se révèle humainement éprouvante. Trois heures quarante-cinq avec des rebondissements somme toute prévisibles ne permettent qu'à grand peine de ne pas rêver à d'autres moulins et d'autres prés où l'herbe serait plus verte. S'il faut saluer la performance des acteurs, il faut saluer celle des spectateurs, non moins admirable. Chez Tchékhov, les femmes ont des bonheurs de canaris, épanouies qu'elles sont dans leurs cages dorées ou non. Comme elles, la pièce de Planchon peine à se servir de ses ailes et fuit les hauteurs. Que le temps est long dans une cage.Dorotée AznarLe Génie de la Forêt, jusqu'au 6 février au Studio 24.


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Planchon, hier et aujourd'hui