Cunningham porté par le hasard

Danse / Figure majeure de la danse contemporaine, Merce Cunningham nous fait l'honneur d'une petite visite à Lyon. Pour les fondus de corps en mouvements, ce genre d'occasion ne se rate pas. Jean-Emmanuel Denave


"Toute Pensée émet un Coup de Dés" (Mallarmé). Toute Danse aussi, pourrait ajouter Merce Cunningham, tant la notion de hasard est centrale dans l'œuvre du chorégraphe. "Des gens pensent, écrit Cunningham, qu'il est plus inhumain et mécanique de créer une danse à pile ou face que de chercher des idées en se rongeant les ongles, en se tapant la tête contre les murs ou en feuilletant de vieilles notes. Mon sentiment, lorsque je compose de cette manière, est que je suis en contact avec des ressources naturelles bien plus larges que ne pourrait l'être ma propre inventivité, bien plus universellement humaines que les habitudes particulières de ma propre pratique...". La contingence, l'aléatoire, comme moyens d'accéder au réel, au flux anonyme des choses. Et parallèlement, de mettre au rebus maîtrise, désirs personnels, pathos, subjectivité, volonté. Merce Cunningham fut (et reste) un chorégraphe d'avant-garde radical, rien moins que l'accoucheur de la modernité en danse. Vidés de leurs oripeaux narratifs, expressifs et symboliques, le geste et le mouvement apparaissent chez lui purs et nus, jusque dans leur plus grande trivialité (la marche, les gestes quotidiens...). Rappelons aussi que ce grand bonhomme de 85 balais fut longtemps le complice de John Cage, co-inventa en 1952 la notion de happening, fréquenta et collabora avec la crème de la scène artistique pop : Rauschenberg, Warhol, Jasper Johns, Jim Dine..." Le corps n'a pas à être lisible mais visible "Au menu à la Maison de la Danse : deux programmes et trois chorégraphies. La plus ancienne, Fabrications (1987), comblera les nostalgiques des années 40 avec costumes d'époque, bribes de danses sociales et vieilles chansons pop. Plus technologique et sans doute plus esthétique, Biped (1999) mêle, sur la musique planante de Gavin Bryars, une chorégraphie composée sur ordinateur projetée sur écran et une chorégraphie interprétée par des danseurs en chair et en os. Enfin, Split Sides (2003) s'annonce comme une curiosité emblématique de l'œuvre du chorégraphe. "Cette pièce est conçue sur le hasard, déclare Cunningham. J'ai chorégraphié deux danses de 20 minutes chacune et commandé à deux groupes de musiciens, Radiohead et Sigur Ros, un morceau chacun. J'ai convié deux décorateurs à concevoir chacun un décor, demandé au costumier deux jeux de costumes et à l'éclairagiste deux dispositifs différents. Les danses sont tirées au sort en début d'après-midi pour que les danseurs puissent répéter. Le reste est tiré au début du spectacle"... Soit 32 combinaisons possibles et un beau casse-tête en perspective pour les danseurs !Merce CunninghamÀ la Maison de la Danse. Split Sides/Fabrications les 26 et 27 janvier, Biped/Fabrications les 28 et 29 janvier.


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