Le ciné-fils et ses enfants

Théâtre & Cinéma / Du Théâtre de la Renaissance à l'Institut Lumière, de Mathieu Bauer à Jacques Rozier, une semaine pour écouter à nouveau Serge Daney, le critique de cinéma français le plus influent des années 70 et 80. Christophe Chabert


Quand on a vu apparaître dans les programmes annuels la création de Mathieu Bauer L'Exercice a été profitable, Monsieur, adapté des textes du critique cinématographique Serge Daney, la perplexité était de mise. Certes, la réputation de Daney n'a cessé de croître depuis sa mort au début des années 90, grâce notamment à l'édition de ses écrits sous forme de recueils thématisés. La Rampe (période Cahiers du Cinéma), Ciné-Journal (époque Libération), Le Salaire du Zappeur (grandiose exercice de chroniques télévisuelles), L'Amateur de Tennis (où Daney s'improvise commentateur sportif) et finalement L'exercice a été profitable, Monsieur (les derniers textes, crépusculaires) ont imposé une pensée faite de passion et d'éthique plus que de théorie, peuplée de paradoxes, de provocations et d'humour. Observateur d'abord enthousiaste, puis désabusé, des métamorphoses du cinéma et de son absorption progressive par le flux des images, fils de Moonfleet et de Godard, voyageur intempestif et chroniqueur d'un monde où la mise en scène triomphe, Daney n'a cessé de regarder son temps à travers ses représentations.Balles de matchMais Daney détestait le théâtre ; il aimait l'anonymat d'une salle de cinéma. C'est pourtant le théâtre qui aujourd'hui l'honore. Mathieu Bauer et sa troupe de Sentimental Bourreau ont eu l'idée, pour faire de cette parole solitaire un véritable échange scénique, de la transformer en match de tennis, où les balles que s'envoient les comédiennes sont des textes écrits par Daney. Il y a un terrain, un filet et même un arbitre. Il y a de la vidéo, des musiciens. Et deux magnifiques actrices : Judith Henry et Aurélia Petit, qui toutes deux ont arpenté les plateaux de cinéma avant de se rencontrer sur les planches pour cette partie qui en dit autant sur Daney que sur Mathieu Bauer, et sur le cinéma qui les a "faits" en tant qu'homme. En plus de ce spectacle stimulant, Mathieu Bauer offre aux Lyonnais un cadeau royal. Il s'accordera une sortie hors du Théâtre de la Renaissance le lundi 31 janvier pour lire des textes de Daney à l'Institut Lumière et présenter Maine Océan de Jacques Rozier. Choix magnifique puisqu'il s'agit sans doute d'une des œuvres majeures du cinéma français des années 80. On y voit l'odyssée burlesque de deux contrôleurs SNCF (Luis Régo et Bernard Ménez) de Paris à l'île d'Yeu, du train-train quotidien à la nuit d'ivresse, au contact d'une danseuse de samba, d'un marin vendéen, d'un producteur portugais... Parcours improbables, choc des langages, folie des situations : Maine Océan, c'est un vrai monde de cinéma, proche de celui rêvé par Daney dans ses textes. Inratable, donc.L'Exercice a été profitable, Monsieur, à la Renaissance du 28 janvier au 5 février.Soirée Serge Daney à l'Institut Lumière le 31 janvier


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