Le pouvoir des mots

Livres / Qui, mieux qu'Hélène Cixous, pouvait aborder la délicate question de l'acte narratif, la fragile frontière entre la réalité et sa représentation littéraire ? L'écrivaine sera lundi à la Villa Gillet pour une conférence prometteuse intitulée "Illusion et narration". Yann Nicol


Le parcours littéraire et intellectuel d'Hélène Cixous frappe d'abord par son éclectisme. Universitaire reconnue, auteur d'ouvrages de référence sur Joyce ou Kafka et d'essais théoriques sur la littérature, elle est notamment à l'origine de l'idée controversée d'une écriture typiquement féminine. Pour elle, le texte, le verbe, le style sont sexués et l'évolution du statut social de la femme induit un changement dans son écriture : "Il y a quelque chose qui commence à s'écrire et qui va constituer un imaginaire féminin...c'est-à-dire le lieu d'identification d'un moi qui ne soit plus aliéné à l'image proposée par le masculin". Parallèlement à cette production critique, elle publie aussi de nombreux textes dramatiques, et collabore depuis quelques années avec le Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine (notons que leur dernier spectacle, Tambours sur la digue, vient d'être édité en DVD). Enfin, elle est l'auteur d'une quarantaine d'œuvres de fiction, un vaste puzzle littéraire où l'ensemble de ces influences (dont également la psychanalyse) se mêlent dans une recherche incessante du livre "rêvé" et dont la dernière pièce, Tours promises, est parue en septembre aux éditions Galilée.Les livres de l'illusionPour entrer dans son univers, le lecteur n'a d'autres choix que d'oublier les repères habituels d'une fiction romanesque. Les personnages, par exemple, sont rarement nommés ("Comment oserai-je me donner le droit (divin) de mettre en circulation des personnages ?"). La trame narrative n'a rien à voir avec une quelconque intrigue. Elle obéit au souffle, au flux d'une écriture qui semble acquérir une autonomie propre. Cette résistance à l'égard des codes réalistes permet à la langue de prendre son indépendance et son envol, et d'accéder à sa véritable teneur poétique. D'aller vers une redéfinition des mots, hors de leurs carcans de connotations et de préjugés, pour faire jaillir une autre réalité, entièrement inhérente à l'objet livre. "L'écriture sert à aller chirurgicalement, cruellement, implacablement mais élégamment, avec les instruments de la beauté, au plus près de la chair à vif", pour gratter les couches de représentation. Pour accéder au "moi" le plus profond: "Ce que je pourchasse, c'est cet univers infini d'écoute du caché, du moins de l'oublié. L'oubli n'est jamais qu'apparent. Quand on force, il cède". Cette recherche poétique, linguistique, éthique d'une identité plurielle et mouvante, à travers la "venue à l'écriture", est la marque de (non) fabrique de cette femme de lettres prolifique et inclassable. Sa rencontre avec Bertrand Leclair, lui aussi romancier et essayiste, est une occasion unique, pour les lecteurs déroutés par cette œuvre mystérieuse et protéiforme, d'en saisir quelques ficelles !Hélène Cixous"Illusion et narration", en dialogue avec Bertrand Leclair


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