Gilles Chavassieux

Gilles Chavassieux, metteur en scène et directeur des Ateliers. À l'ombre de Planchon, cet artisan a préféré les planches de la rue Petit David où ses métiers ont filé Genet, Adamov, Brecht ou Schnitzler. Dorotée Aznar


Gilles Chavassieux ne révèle pas son âge. Pas par coquetterie, ses préoccupations sont autres. Il refuse d'incarner une génération, d'en porter la parole et l'héritage. À 17 ans, il se destine au métier d'ingénieur, à l'ouvrage et à la maîtrise d'œuvre. Mais, il jette ses plans, sape les bases d'un édifice trop lâche. "Le monde dans lequel je vivais ne me convenait pas". Un constat que viennent étayer ses lectures : Aragon, Malraux, "ceux qui parlent du monde et le contestent". Ces figures tutélaires sont rejointes par un grand-oncle adepte de l'histoire non officielle et un laveur de vitres qui préfère le Parti Communiste au petit séminaire. Voilà pour les influences premières, qui soulèvent les inquiétudes maternelles. De ces années d'apprentissage Chavassieux garde une haine de la soumission et de la tradition dont il dit : "ce n'est pas un liant, c'est une glu". Puis une poignée de professeurs, ceux qui "vous donnent de quoi bouffer et dont on tire le lait" viennent compléter son éducation. Il devient comédien, puis assistant de Roger Planchon jusqu'en 1972, l'année où le Théâtre de la Cité de Villeurbanne devient le TNP. Une période faste, des mises en scènes à l'étranger et de l'argent. Mais, une période secouée par la peur et le doute. "Je me suis vu partir en miettes, j'ai craint de construire des spectacles formatés, ceux que l'on attendait de moi". Il quitte Planchon et Villeurbanne et décide de monter son théâtre. De l'expérience de la solitudeC'est le temps des vaches maigres ; Lyon est rétive à la création contemporaine. Chavassieux s'accroche et en 1974, il transforme un ancien théâtre de Guignol. Les planches pour la scène, le rideau pour le cinématographe. Le chantier cède la place aux Ateliers et la compagnie homonyme voit le jour la même année. La suite est affaire de chance et de choix. "La mise en scène de Si l'été revenait d'Adamov est une réussite ". Louis Pradel disparaît et la nouvelle municipalité subventionne le théâtre, mais au début des années 80, les dettes de Chavassieux s'élèvent à un million de francs. "1981 nous a sauvés", lance-t-il amusé, comme on se souviendrait d'un slogan. Agrandissements, ouverture d'une nouvelle salle, il peut enfin être libre ne pas succomber aux diktats des maîtres à penser. Les tendances, il s'en moque : "Je ne cherche pas à plaire à tel ou tel journaliste". Aux Ateliers, les métiers s'emportent, Chavassieux confectionne des pièces de Boulgakov (Ivan le Terrible), Marivaux (la Double Inconstance), Vinaver (les Huissiers), Brecht (Dans la jungle des villes), Müller (la Mission), Duras (le Square), Calderon (La vie est un songe), ou encore Schnitzler (Bacchanales viennoises). D'Arthur Adamov, celui qu'il qualifie comme "sa rencontre", il monte Si l'été revenait, Les Retrouvailles, Comme nous avons été et Sainte Europe. Au Théâtre du Vieux-Colombier, il présente Elle de Jean Genet avec Roland Bertin. On retiendra aussi Le Cas Gaspard Meyer de Jean-Yves Picq, la Mégère apprivoisée de William Shakespeare, Nietzsche se marie d'Alain Jugnon, L'Émission de télévision de Michel Vinaver. Au total, une trentaine de créations. La dernière, dont les représentations commenceront le 14 janvier, est une adaptation d'un texte de Lionel Spycher, "sa nouvelle rencontre". Un texte qui tisse les fils du polar et de l'absurde, où l'inattendu divise le monde entre ceux qui savent en tirer profit et ceux qui y succombent. Un canevas qui évoque la marque de fabrique des Altiers : "donner envie de changer le monde". L'utopie y est incarnée, assassinée, ressuscitée. Mais on ne peut se jeter d'une fenêtre sans la certitude de savoir voler, et Chavassieux ne fait pas l'unanimité. Il apprécie. "Quand les gens applaudissent en cadence, cela m'effraie. Si tout le monde est d'accord avec ce que l'on dit, c'est que l'on ne dit rien". Il ne dénigre pas le principe de plaisir, mais aime à laisser perplexe, à ne pas plaire, comme un artisan revêche. "Je ne crois ni aux grandes ni aux petites messes, je veux prendre la parole comme on fait un acte de résistance". Le nouveau Président suivi de Les carnets du président, un feuilleton de Lionel Spycher, au théâtre des Ateliers du 14 janvier au 11 février.


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