Jordi Colomer, anar(tiste).

Expo / Jordi Colomer est barcelonais, drôle, subversif, subtil. C'est sa première grosse expo en France. Ça se passe à l'IAC de Villeurbanne et c'est à découvrir de toute urgence. Jean-Emmanuel Denave


"Pour des raisons de sécurité, tout bagage ou colis suspect..." Cette phrase, emblématique de notre époque, est fragmentée sur plusieurs grands panneaux noirs placés chacun au sommet d'un escabeau et disséminés en désordre dans la salle. Incipit de l'exposition dans une ambiance d'aérogare bordélique. D'emblée, cette installation livre quelques clefs du travail de Colomer : semer un minimum de zizanie parmi les mots d'ordre, les lieux d'ordre et autres formes contemporaines d'aliénation. L'architecture et le langage assujettissent, il s'agit de les désamorcer et d'en faire vaciller les socles, en sollicitant directement les sens du visiteur. L'œuvre de Colomer emprunte à l'anarchie son étymologie (refus de toute forme de pouvoir) et y fait parfois explicitement référence. On peut ainsi découvrir quelques reconstitutions miniatures de prototypes de blindés anarchistes absurdes (car trop lourds) pendant la Guerre d'Espagne. Ou le projet Anarchitekton (projections de photographies enchaînées) : à Barcelone, Bucarest, Osaka ou Brasilia, un acteur farfelu court en brandissant à bout de bras les maquettes en carton de bâtiments que l'on perçoit (réels) au second plan. Ré-appropriation et errance comique d'icônes urbaines qui se voudraient figées dans le béton. La fiction et l'humour s'invitent sur les terres de la "réalité" et du sérieux, égratignant de quelques lézardes les orgueilleuses façades.Les mots et les choses
Retour au langage dans les salles suivantes avec, par exemple, des phrases-objets composées de volumes en bois. Fusion-confusion du signe et de la chose donnant forme à une libre grammaire sculpturale. Dans la vidéo Un Crime, douze personnages marchent vers nous, chacun portant une lettre en 3D entre les mains. Chaque plan du film, tourné en différents endroits de Cherbourg, correspond à une phrase ou à un morceau de phrase, du récit d'un crime ayant eu lieu dans la même ville au XIXe Siècle. Là encore, Colomer joue des rapports entre les mots et les choses et invente des formes de narration drôles et stimulantes. Depuis 1997, la vidéo est d'ailleurs le principal médium utilisé par l'artiste qui se définit comme sculpteur-vidéo. "Sculptures" car les vidéos ont un rapport étroit à l'espace, sont toujours "mises en scène" et impliquent le spectateur au sein de leur dispositif. Ainsi, il faut franchir un étroit couloir pour découvrir la vidéo Simo, farce beckettienne à propos du consumérisme et de ses normes. Ou s'affaler sur un matelas pour visionner Le Dortoir, lente errance de la caméra parmi un immeuble en carton-pâte de douze étages dont les habitants sont endormis après une gigantesque fiesta. Vanité où les objets et les détritus "prennent la parole et l'image", une fois l'humanité assoupie. "Sculpteur" de vidéos ou d'installations, Jordi Colomer secoue le théâtre du monde contemporain, ses décors, ses représentations et sa phraséologie. Toujours avec humour, finesse, et dans des formes à la fois immédiatement saisissantes et riches de multiples niveaux de lectures. Le propre d'un grand artiste.Jordi Colomer
À l'Institut d'Art Contemporain de Villeurbanne Jusqu'au 16 janvier.


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Flamands flamboyants