Sous les pavés, les planches

Théâtre / Olivier Rey reprend aux Ateliers son adaptation de La Maman et la putain et présente une création ovni à partir d'un texte de Brecht qui ne l'est pas moins, L'Achat du cuivre. Jean-Emmanuel Denave


Le jeune metteur en scène lyonnais Olivier Rey a le chic pour choisir des textes impossibles au théâtre. Après Blanche Neige de Robert Walser, il reprend son adaptation casse-gueule de La Maman et la putain, film de Jean Eustache de 1973. Casse-gueule tant ce long-métrage est une œuvre énorme, culte même pour beaucoup (dont nous sommes), et interprétée, entre autre, par un Jean-Pierre Léaud et une Bernadette Lafont au sommet de leur art. D'où, durant une bonne demi-heure, la difficulté de ne pas repenser au film, de ne pas comparer la pièce à cette figure écrasante, de ne pas se demander pourquoi diable Olivier Rey a-t-il eu la prétention d'y apporter quoi que ce soit ? Pendant ce temps-là, les acteurs, eux, jouent, plutôt très bien d'ailleurs, ne cherchant jamais à imiter leurs glorieux aînés du cinéma, et s'emparant à leur manière de dialogues denses, crus, brouillés de contradictions, entremêlés d'hésitations et de fulgurances, avec pour épicentre un questionnement sur les relations amoureuses post-mai 68. Les trois quart de la pièce se déroulent dans une chambre à coucher bordélique qui ressemble parfois presque à la Destroyed room de Jeff Wall, où l'on trouve Alexandre un oisif du quartier latin, partagé entre Marie, la femme avec laquelle il vit (et qu'il vouvoie), et Véronika, une infirmière volage (brillamment et érotiquement interprétée par Marianne Pommier). D'où le titre freudien d'Eustache, ou comment concilier l'amour tendre et la pulsion sexuelle dans le désir humain. La mise en scène d'Olivier Rey est assez sobre, musicale, manie bien les scènes «cut» comme il est des «plans cut», et le long monologue final de Véronika finit par nous convaincre que, oui, pourquoi pas, le texte d'Eustache fonctionne plutôt bien sous forme d'adresse incarnée et vivante, interrogeant ici de manière directe le spectateur et l'actualité de son désir (amoureux, politique...). Un Marx et ça repartOlivier Rey propose parallèlement une singulière adaptation du texte hybride et ardu de Brecht, L'Achat du cuivre. Un texte mêlant dialogues, poèmes, théorie politique, etc. et questionnant au fond les raisons d'être du théâtre. Sur le plateau, le metteur en scène et ses acteurs débarquent comme s'il s'agissait d'une première séance de travail, et alternent lectures et discussions. D'où une petite mise en abyme fraîche, brouillonne et drolatique, invitant le public à participer, ou du moins à réfléchir avec les protagonistes. Un défrichage en direct et «imagé» qui reprend quelques grandes thématiques brechtiennes : la fameuse distanciation, la question du divertissement contre l'instruction et l'analyse du monde, le rapport du théâtre au réel... Olivier Rey fait de la «pédagogie» avec humour, et n'hésite pas à souligner l'urgente actualité de Brecht, mais aussi de Marx, lanternes possibles pour éclairer nos pas en ces temps obscurs. Gonflé et stimulant !La Maman et la putain de Jean Eustache et L'Achat du cuivreAu Théâtre Les AteliersJusqu'au 21 décembre 2007


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