Pathé à l'ère hi-tech

Actu / L'ouverture cette semaine du nouveau Pathé Vaise fait figure d'événement pour le cinéma à Lyon, notamment grâce à sa capacité à exploiter les films en numérique. Visite guidée et questions à son directeur Joël Luraine sur les futures orientations de la programmation. Christophe Chabert


Mercredi 9 janvier 2008, 14h. Pelleteuses et ouvriers sont encore à pied d'œuvre devant le Pathé Vaise, qui ressemble plus à un chantier qu'à un cinéma à dix jours de ses premières séances. La façade, longue et imposante, reprend en son milieu celle des Chais Beaucairois, ancien site de chantiers navals reconverti en société d'embouteillage puis laissé à l'abandon, animé épisodiquement par des fêtes plus ou moins légales. Tout au long des murs, une fresque décline des mots associés à l'univers du cinéma : «acteur», «metteur en scène» ou un plus mystérieux «éthique». À l'intérieur, le quasi hectare du cinéma est lui aussi encore en travaux ; l'espace du hall, immense, se décline en motifs circulaires, du «donut» central au comptoir billetterie-confiserie en passant par le futur OL Café. Tout cela amène vite une interrogation perplexe : où sont les salles ? Les Lyonnais, habitués à des complexes «gratte-ciel», devront se faire à ce bâtiment à l'architecture gigantesque, mais dont la profondeur se dérobe au regard. Pourtant, les salles sont là, sur un seul étage et dans chaque aile du cinéma : 14 au total, 2800 fauteuils répartis sur des capacités allant de 130 à 460 par écran. Mais la plus spectaculaire innovation du Pathé Vaise ne pourra se goûter qu'une fois les lumières éteintes et les premières images du film lancées : huit salles seront, dès l'ouverture, équipées pour la projection numérique. Une première qui, selon les mots de Joël Luraine, directeur du site, «devrait faire vieillir tous les autres équipements lyonnais.»Le numérique à la chaîne«Le numérique est inéluctable», commente-t-il. «Avec ses conséquences favorables : une plus grande stabilité de l'image pendant toute la durée du film, un son encore meilleur car sorti directement du mixage. Et l'équipement de huit salles permet d'exploiter un film sur toute sa carrière en numérique». En cela, le Pathé Vaise est un véritable laboratoire pour le groupe Pathé, exploitant mais aussi producteur et distributeur, donc concerné à chaque maillon de la chaîne par cette question du numérique. Hasard du calendrier ou désir de marquer les esprits : c'est au moment de la sortie d'Astérix aux jeux Olympiques, tourné en numérique, produit et distribué par Pathé, que ce multiplexe hi-tech ouvre ses portes. Ce sera donc l'occasion d'un test grandeur nature : «Astérix sera exploité dans deux ou trois salles en numérique, il n'y aura probablement pas de copie 35 mm de secours», confirme Joël Luraine. Mais cette question, véritablement centrale, déborde le cadre des grosses machines. «Ma demande pour le 19 janvier, c'est d'avoir une copie numérique de La Graine et le mulet, si elle est disponible...». Le film, aux antipodes de la superproduction de Thomas Langman, a aussi été tourné en HD, et est aussi distribué par Pathé. Pour compléter le tableau, on soulignera que c'est encore Pathé distribution qui a sorti le dernier Coppola, L'Homme sans âge, lui aussi tourné en numérique... En cela, le nouveau Pathé Vaise tombe à pic pour souligner une évidence : les créateurs, quelles que soient leurs ambitions artistiques, sont en train d'abandonner la pellicule, et il était temps que l'exploitation relaie le mouvement, ne serait-ce que pour respecter la volonté des cinéastes. On tourne en numérique, on projette en numérique. Ce que résume à sa manière Joël Luraine : «on fait le même métier, on change juste de technologie...»Pacifique, mais pas naïfPour le reste, le Pathé Vaise ne déroge pas aux règles récentes de l'exploitation en multiplexes : une automatisation croissante des services au spectateur, un soin apporté à l'événementiel, notamment envers les entreprises (le cinéma dispose d'un espace réception de 300 m2 avec terrasse), pas d'art et essai mais des films grand public, parfois proposés en version originale. Le risque, là encore attendu, c'est de se porter vers des films déjà très largement fournis en VO sur Lyon ; Joël Luraine cite par exemple le nouveau Tim Burton ou le dernier Sean Penn... «Le premier objectif de Pathé sur la ville est d'accroître son offre», se justifie-t-il. Car, deux semaines avant les premières projections à Vaise, Pathé a «officialisé» son rachat des 8 Nefs en rénovant ses salles (l'une d'entre elles est définitivement fermée) et en les rebaptisant Pathé Cordeliers. Ce qui fait un parc de 31 écrans sur la ville, un vaisseau amiral cinématographique à même de défier le concurrent de la rive droite UGC, jusqu'ici en position de force. Mais le groupe Pathé emmené par Jérôme Seydoux n'a jamais cherché la guerre ouverte et offensive. «La politique de l'entreprise est beaucoup plus dans la négociation et la discussion que dans l'affrontement. Ce qui ne nous empêche pas de défendre notre bifteck». Exemple : le lancement de la carte illimitée Le Pass en association avec Gaumont pour répondre à celle initiée par UGC. Une carte qui, aujourd'hui à Lyon, prend une valeur certaine ! Pacifique, mais pas naïf, Joël Luraine sait que les attaques seront plus nombreuses, notamment sur cette question des VO ; mais c'est l'excitation du challenge plus que l'inquiétude des problèmes à venir qui domine. Dans quelques mois, quand les odeurs de peintures et de colle se seront dissipées, quand les moquettes auront été foulées par les premiers visiteurs, et que les chiffres commenceront à tomber, on saura si la révolution initiée par ce cinéma du XXIe siècle aura fait école ou restera pendant quelques temps encore une curiosité hi-tech.


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