Blanches écumes


Expo / En 1974, Hiroshi Sugimoto photographiait en noir et blanc des salles de cinéma avec un temps de pose correspondant à la durée du film projeté. Sur ses images, les salles, vidées de la présence de leurs spectateurs trop «remuants», sont éclairées du halo de lumière d'écrans devenus tout blancs. «Trop d'informations conduit au néant», déclarait Sugimoto. À la même époque, en 1973 exactement, naît l'américain Matthew Pillsbury co-lauréat 2007 du prestigieux Prix de la Fondation HSBC pour la photographie. Son travail nous semble directement et intelligemment lié à celui de Sugimoto. Pillsbury a installé sa chambre noir et blanc dans des appartements de grandes villes américaines, sur des terrasses ou des toits d'immeubles, captant de nuit la lumière d'écrans de télévisions, d'ordinateurs ou de téléphones portables, le temps d'un feuilleton télévisé, d'une séance de travail ou autre... Dans chaque photographie, c'est un ou plusieurs petits écrans blanc aux halos fantomatiques qui hantent des intérieurs cossus ou des extérieurs urbains. Les poses de Pillsbury étant relativement plus courtes que celles de Sugimoto, les corps humains laissent ici encore quelques traces vaporeuses. Sortes d'ectoplasmes ou poussières de chairs dont l'existence semble plus fragile et fugace que celle de leurs outils technologiques et de leur environnement immobilier. Momifiant le temps, cristallisant sur une même photographie le flux continu et absurde des images ultra-modernes, l'artiste compose là de captivantes et inquiétantes vanités contemporaines. Au-delà, ses petits écrans luminescents, «gros» d'images devenues invisibles, constituent aussi d'angoissantes «pages blanches» sur lesquelles l'art se devra d'inscrire ses propres représentations. Jean-Emmanuel DenaveMatthew Pillsbury (avec Julia Fullerton-Batten) Au Réverbère, jusqu'au 2 février Publication : M. Pillsbury, Time Frame, Editions Actes Sud.


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«Un désengagement de l'État mi-honteux, mi-cynique»