Le temps compté conté

Expo / L'écrivain et photographe Denis Roche expose quarante images inédites à la Galerie Le Réverbère. Quarante réflexions et inflexions poétiques sur l'acte photographique. L'exposition est superbe et exigeante. Exigeant quoi ? Du temps ! Jean-Emmanuel Denave


Dans un livre d'entretiens paru récemment, Denis Roche (né en 1937) cite cette phrase de Jean Genet : «Tout roman, poème, tableau qui ne se détruit pas, je veux dire qui ne se construit pas comme un jeu de massacre dont il serait l'une des têtes, est une imposture». Comme il l'avait fait dans le groupe Tel Quel en littérature, Denis Roche a, en photographie aussi, beaucoup détruit, ou plutôt «déconstruit» ses éléments essentiels (un endroit, un instant, un cadre, un objet technique, un individu qui appuie sur le déclencheur et qui draine sa propre biographie et son inconscient…) pour (re)composer ses images. D'où, très souvent, la présence au sein de ses photographies d'un appareil photographique, de jeux de reflets ou de miroirs, de mises en abyme de l'espace comme du temps. Avec Denis Roche, la photo devient «phauto» : auto-réflexion sur elle-même et trace autobiographique (une grande partie de son œuvre est dédiée à l'autoportrait). Ce qui pourrait sembler alors une exploration aride et théorique s'ouvre cependant toujours à la beauté, à la poésie, et à une forme de questionnement philosophique qui nous touche tous… Présence au monde, évanescence du temps, désir amoureux, hantise de la mort.L'insoutenable légèreté du tempsL'exposition au Réverbère débute par un autoportrait de 2004 où Denis Roche porte à bout de bras un appareil photo. Elle se poursuit en une ligne discontinue d'images représentatives, ou non, des diverses approches et expérimentations de l'artiste. Soit vingt années (1986-2007) consacrées à l'acte photographique dans toutes ses dimensions : capture du temps, ombres portées, reflets démultipliés, jeux sur l'opposition du flou et du net, images dans l'images telles des poupées gigognes, couples d'images inversées comme des cartes à jouer, contacts successifs laissant part au hasard et à l'accident… Toutes ses images ont un lien avec la biographie de Denis Roche : voyages, chambres d'hôtel, lieux de travail, moments d'intimité avec son épouse, etc. On découvre ainsi aussi bien une terrasse silencieuse de Calcutta que des fragments de ciel parisien, plusieurs nus hésitant entre figuration et abstraction, la tombe de Giacometti, trois autoportraits à la cigarette où le passage du temps est symbolisé par «l'allongement» de la cendre de la cigarette, la célèbre série de Pont-de-Monvert où l'artiste a photographié sa femme assise sur un muret surplombant un cimetière à différentes époques de sa vie… Denis Roche explore la moelle du temps et la colonne vertébrale du dispositif photographique. Cela n'est jamais ennuyeux, mais toujours intelligent et poignant.Denis Roche, La Photographie est interminable (entretien avec Gilles Mora), Editions du Seuil, 2007


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