«Ceux qui ratent toujours tout, du début à la fin»

La création d'Emmanuel Meirieu, on l'attendait depuis un moment. Finalement, le metteur en scène a choisi de présenter American Buffalo, de David Mamet. Propos recueillis par Dorotée Aznar


Petit Bulletin : Dans vos pièces précédentes, vous aviez choisi de mettre simplement des comédiens autour d'une table. Avec American Buffalo, la mise en scène semble plus élaborée avec de l'eau sur le plateau, la pluie qui tombe...
Emmanuel Meirieu : L'eau est présente sur scène parce qu'elle est présente dans le texte. Dans le premier acte, il fait très chaud. La pluie a un sens très fort dans le texte, elle annonce le drame.

Vous respectez donc scrupuleusement la construction du texte de David Mamet...
J'ai choisi de travailler sur l'un des plus grands scénaristes américains, la moindre des choses, c'est de respecter son texte... Ce qui me plait, c'est l'histoire et je la respecte.

Parlez-nous un peu de cette histoire...
C'est l'histoire d'un mec de 55 ans, interprété par Jean-Marc Avocat, qui veut aider un jeune de 30 ans à échapper à la rue et à la dope. C'est l'histoire d'un homme qui bousille la dernière chance de sa vie. L'action se déroule à Chicago, dans la zone, en une journée. C'est un huis clos entre trois personnages, l'unité de temps et de lieu sont respectées. En termes de rythme, c'est vraiment une épure, une perfection.

Après avoir mis en scène Jez Butterworth, vous continuez à explorer l'univers des gangsters à la petite semaine...
Ce que j'aime, ce ne sont pas les gangsters qui ont la classe. Moi, j'aime les losers, les perdants, ceux qui ratent toujours tout, du début à la fin. J'aime les textes qui parlent de survie, mais ce ne sont pas de problématiques très françaises. American Buffalo est un texte qui parle de pognon pendant 1h15 sur 1h30... La survie et le pognon... Je sais que ce sont des éléments qui ne passeront pas pour les spectateurs qui ne connaissent pas cette culture ou qui ne sont pas de ma génération.

Vos spectacles ont pourtant été bien reçus en règle générale, vous craignez la réception au Théâtre des Célestins ?
Nous n'avons jamais eu de problème avec le public et je suis assez confiant dans l'expérience aux Célestins. Je pense que si on fait un bon spectacle, un spectacle émouvant et fort, ça marche. Il n'y a aucun problème formel pour entrer dans ce spectacle. Au début, on dit où et quand cela se passe, ensuite, il n'y a pas de codes, il n'y a rien de compliqué. J'espère que ce qui me bouleverse bouleversera aussi le public. Je n'essaie pas de donner des leçons de morale ou des leçons politiques, je raconte juste des histoires.

Vous avez choisi de sonoriser la pièce, pourquoi ?
Je suis un spectateur de cinéma plus qu'un spectateur de théâtre. Sur le plateau, je veux des voix chaudes, très proches. C'est difficile de reproduire cela au théâtre. Dans le théâtre français, on est toujours sur la langue, c'est une sorte de fierté d'avoir des acteurs qui déclament leur texte. Dans mon théâtre, les acteurs peuvent parler avec le dos tourné et un cure-dents dans la bouche, les musiques peuvent être au premier plan... Parfois, quand les dialogues sont très banals, les attitudes sont plus importantes que ce qui est dit. Mais je sais que le spectateur n'est pas habitué.

Que reprochez-vous au théâtre français ?
Rien, je n'ai aucun problème avec le théâtre ! Le problème, c'est qu'en général, ce théâtre ne résonne pas en moi, ce n'est pas mon histoire que l'on raconte. Le théâtre contemporain, c'est Copi, Bernhard, ce ne sont pas mes problématiques. Je n'ai pas un problème avec la forme du théâtre mais avec le fond.

Vous insistez sur le fait que c'est bien du théâtre que vous montrez. Pourquoi ?
Souvent, on a dit que je faisais du cinéma, or ce n'est pas justifié. Je respecte les règles du théâtre. Je mets six mecs qui discutent autour d'une table, il n'y a rien de plus théâtral que cela.

Dans cette pièce, on retrouve Jean-Marc Avocat, l'un de vos grands fidèles. Quelle relation avez-vous tissé avec ce comédien ?
C'est une relation née de cinq ans de travail. Le lien que nous avons tissé est inestimable. c'est une relation de confiance totale et on en a bavé pour en arriver là. Parvenir à ce que je demande, c'est physiquement et nerveusement très difficile. Ce que je demande à mes comédiens se situe bien au-delà de leur métier. Mes acteurs m'impressionnent tous les jours, ils ne biaisent pas, ils ne peuvent pas s'en sortir avec une pirouette. Au cinéma, on peut multiplier les prises jusqu'à ce que l'on obtienne le moment parfait, moi je dois créer les conditions pour que cet instant parfait se produise tous les soirs.

Cela fait maintenant dix ans que vous mettez en scène des spectacles, prenez-vous toujours le même plaisir à faire ce métier ?
J'ai très peur des faux-semblants et je me mets souvent dans des situations très compliquées, parce que j'essaie de faire des choses impossibles. En fait, je pense qu'aujourd'hui, j'ai plus de plaisir, mais moins souvent. Mes derniers spectacles sont sans doute meilleurs que ceux que je faisais quand j'avais vingt ans, mais je ne parviens pas à me défaire d'une sensation de ne pas être à ma place. Contrairement à la génération de metteurs en scène qui me précède, je fais chacun de mes spectacles comme si c'était le dernier. En parlant de plaisir, il y a cette citation que j'aimerais intégrer dans mon spectacle et qui dit : «un jour, j'ai rencontré un mec dans le désert qui était en train de manger son cœur. Je lui ai demandé : «C'est bon ?». Il m'a répondu : «c'est amer, c'est amer. Mais c'est bon, parce que c'est mon cœur».


<< article précédent
Soyez sympas, rembobinez