Résonances


Point de vue / «C'est seulement en 1983 que j'ai rencontré Keith […]. Il m'a fait l'impression d'être plutôt spectral - comme s'il n'était pas vraiment là. Il était étrange et pourtant très positif. Je me souviens d'une grande exposition à la galerie de Tony Shafrazi et d'avoir été littéralement stupéfait par les œuvres de grandes dimensions qui étaient présentées. Ces peintures avaient une incroyable vitalité électrique […]. J'ai trouvé les contributions de Keith pour Apocalypse absolument étonnantes… Mes textes avaient été compris à la perfection et rendus à la perfection», confie William Burroughs dans un entretien. Apocalypse (1988), l'une des deux collaborations entre l'écrivain et l'artiste, est présentée au Musée sous forme de dix sérigraphies d'Haring côtoyant le texte de Burroughs. Le style d'Haring s'y révèle surprenant : détournant des images célèbres (la Joconde notamment), étalant des taches de couleur, dessinant des bribes de personnages et de monstres plus dispersés et fragmentés qu'à son habitude. Mais au-delà de cette collaboration, toute une partie de l'œuvre de Haring nous semble hantée, connectée, ou inconsciemment faire écho à celle de Burroughs. Les motifs des vers, des mille pattes, des reptiles, des hécatombes, ou encore de l'anus qui prend le dessus sur les autres organes d'un individu, semblent tout droit sortis du Festin Nu. Rappelez-vous : «Un beau jour, son trou du cul lui lâcha recta : «C'est toi qui finiras par la boucler. Pas moi. Parce que tu n'es plus d'aucune utilité ici, vu que moi, je peux causer et bouffer et chier»», écrit Burroughs. Un peu plus sérieusement, on découvre aussi chez les deux créateurs un certain nombre de thématiques générales communes : les mutations corporelles improbables, les hybridations entre l'organique et le technologique (par exemple les mille-pattes à têtes d'ordinateurs peints en 1983-84 par Haring), et surtout l'intuition d'une société de contrôle contemporaine imbriquant, jusqu'à la confusion : le pouvoir politique, les media, l'informatique, l'argent et le religieux…JED


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«L’amour de la ligne»