Gangsters d'acteurs !

Cinéma / Alors que Jean-Paul Rouve ressuscite Albert Spaggiari, légende du banditisme français, revue des grands acteurs qui ont prêté leurs traits à d'authentiques gangsters, ou comment les légendes de l'écran rejoignent les légendes du crime. Christophe Chabert


Robert de Niro / Al Capone : le beau et la batte
Alors que Martin Scorsese lui a fourgué au kilo des rôles majeurs dans des films de mafieux, c'est bien Brian De Palma qui a permis à Bob De Niro d'incarner une vraie légende du crime : Al Capone dans Les Incorruptibles. Le cheveux rare et gominé, l'embonpoint manifeste, les lunettes noires dévorant une partie du visage, le gros cigare mâchouillé, un pardessus crème sur veste grise et veston en tweed vert pâle, De Niro se prête à une monstrueuse iconisation du personnage, à la hauteur du mythe.
Sa première apparition sur une chaise de coiffeur en train de se faire raser de près, tout comme sa manière de régler ses comptes à coups de batte de base-ball en livrant une leçon sur l'esprit d'équipe («The team ! The team !») sont inoubliables. Élégance, virilité, autorité : James Gandolfini s'en souviendra quand il endossera l'habit télévisuel et fictif de Tony Soprano.Warren Beatty / Bugsy Siegel : femmes, femmes, bam !
L'acteur aux mille femmes a sauté sur l'occasion d'interpréter un gangster taillé sur mesure pour sa propre légende : Bugsy Siegel, mafieux juif américain aux méthodes particulièrement brutales et très porté sur la gent féminine, acceptant rarement qu'on refuse ses avances. Dans Bugsy, oubliable film de Barry Levinson qu'on a d'ailleurs un peu oublié, Beatty est plus convaincant quand il séduit l'actrice Virginia Hills que quand il dessoude pour son propre compte ceux qui se mettent en travers de son rêve (il est le fondateur officieux de Las Vegas). Pas de mal pour le comédien : il a aussi séduit l'actrice qui joue l'actrice, la craquante Annette Benning !Ray Liotta / Henry Hill : mafia première langue
Tout petit déjà, Henry Hill «rêvait d'être un gangster». Ado, il passe brillamment l'examen (un premier procès dont il se sort sans avoir balancé personne : «Félicitations, tu as perdu ton pucelage !» lui lancent ses nouveaux collègues…). Devenu adulte, il se place dans le sillage de quelques affranchis, dont Jimmy Conway, froid mais impitoyable, et Tommy DeVito, impulsif et cruel.
Mais il tombe dans la schnouff, fait n'importe quoi, se fait arrêter et doit balancer ses «potes» (traduction du titre original «Goodfellas»), avant de finir «comme un schnock», planqué sous une fausse identité.
Tout est vrai, recueilli de la bouche de Hill lui-même par Nicolas Pileggi, retranscrit à l'écran par un Scorsese au sommet de son art, faisant de Ray Liotta, acteur inégal mais ici formidable, un prototype de petite frappe devenu grand ponte par arrivisme et goût du luxe. Les gangsters seraient-il, comme beaucoup de comédiens, des bourgeois parvenus ?Vin Diesel / Jackie Dee : tais-toi quand tu tues
Gros yakayo enchaînant les nanars gonflés aux hormones depuis qu'il a eu le malheur de jouer dans un bon film (le méconnu Pitch Black), Vin Diesel s'est souvenu de ses ascendances italiennes et s'est prêté au jeu du gangster-qui-a-réellement-existé avec Jugez-moi coupable. Jackie Dee, mafieux grande gueule, s'est fait piquer comme un bleu et se retrouve derrière les barreaux au moment du grand procès de la mafia new-yorkaise voulu par Rudy Giuliani. Il n'a du coup rien à perdre, et décide de se défendre lui-même, improvisant jour après jour dans un numéro de stand up que ne goûtent ni ses ex-partenaires, ni les juges désemparés par le gugusse.
Gangstérisme et comédie, même combat ? Pendant que le génial vétéran Sidney Lumet assure derrière la caméra, trop content de retrouver son thème préféré (les dérives des institutions face au crime organisé), vous savez quoi ? Vin Diesel est excellent dans le film !Denzel Washington / Frank Lucas : les affaires sont les affaires
Il y avait donc un parrain noir de la drogue dans le New York des années 70… L'information nous avait échappés, mais ce diable de Ridley Scott se charge de nous le rappeler avec ce qu'il faut de nostalgie pour le cinéma politique vintage et le film de mafia dans American Gangster. Frank Lucas, donc, part de tout en bas de l'échelle et, tel un bon businessman ayant saisi que l'argent n'a qu'une seule couleur, le vert, décide de monter sa petite entreprise, sa marque déposée d'héroïne, sa propre filière d'importation — les cercueils des soldats morts au Vietnam — et ses usines à forte productivité pleines de filles à oilpé pour être sûr qu'elles ne piquent pas la marchandise.
Une success story comme l'Amérique l'adorerait si elle n'était pas aussi son pire cauchemar ! Avec un brin de perversité, Scott embauche pour incarner le premier parrain noir le premier acteur noir à avoir obtenu un Oscar pour un premier rôle, Denzel Washington. Loin de ses compositions de héros, il donne au personnage une dimension bien glaçante : bon fils, bon mari, vrai salaud !Jean-Paul Rouve / Albert Spaggiari : le tube de l'année 1976
Loin des mines concernées et consternantes de Francis Huster dans Les Égouts du Paradis de l'ex-gangster José Giovanni (lire l'encadré rouge), Jean-Paul Rouve campe un Spaggiari bonhomme, rigolo et pas méchant («Sans arme, ni haine, ni violence» est son slogan). Il est aussi celui qui pousse le plus loin le parallèle comédien/gangster : Spaggiari veut surtout devenir une vedette, avec un «tube» à la clé (le casse de la Société Générale). Il se rêve d'ailleurs un biopic où Alain Delon ferait un parfait Spaggiari ! Lui-même n'est pas avare en déguisements, allant jusqu'à se transformer en Mesrine ! Star du crime, star de cinéma, l'important, c'est d'être une star…


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