Le Lauréat

En 1967, Mike Nichols et Dustin Hoffman font entrer un souffle de jeunesse dans le cinéma américain avec cette histoire d'apprentissage amoureux pleine d'humour, d'ironie et de mélancolie. CC


Dans Le Lauréat, il n'y a presque que des vieux avec des tronches pas possibles. Ils menacent, ils maugréent, ils sont collants et envahissants. Même leur progéniture est vieille : au premier incident, il y a toujours un blondinet prêt à appeler la police.Et quand l'un d'entre eux se marie, c'est forcément parce qu'il a mis sa fiancée enceinte ! C'est dans ce contexte social et moral sondant les abîmes de l'inertie que Mike Nichols propulse Benjamin Braddock, jeune diplômé rentrant fêter sa réussite chez ses parents.
Immobile sur un escalier mécanique, un travelling l'accompagne à la même vitesse que le tapis roulant, donnant l'impression qu'il stagne dans le cadre. Plus tard, lors de la soirée avec les invités, il n'arrivera jamais à se dépêtrer de leurs attentions. Encore plus tard, engoncé dans une ridicule combinaison de plongée, c'est le fond de la piscine qu'il va devoir sonder, accablé par de si pathétiques distractions.
Le premier tiers du Lauréat montre ainsi Dustin Hoffman comme un corps malléable et indécis, émettant d'hilarants couinements de gêne lors des situations encombrantes qu'il traverse.
Mais dès qu'il passera à l'acte sexuel avec une amie de sa mère, la troublante Mrs Robinson (Anne Bancroft, sublime de sensualité perverse), Braddock-Hoffman se métamorphose et libère une énergie qui va bousculer tous les ordres établis.Le son du silence
1967. Hollywood agonise, en même temps que ses vétérans. Une poignée de jeunes loups commencent à donner de grands coups de bélier dans l'édifice, espérant le prendre d'assaut pour y installer leur nouvel Hollywood, règne des cinéastes-auteurs remplaçant les producteurs à cigare. Le Lauréat, par sa facture classique de comédie romantique en studio, scope et technicolor, appartient à la génération d'avant ; Mike Nichols, son réalisateur, est d'ailleurs resté cet artisan à l'ancienne capable, quand un bon script lui tombe entre les mains (que ce soit la pièce Angels in America ou le récent La Guerre selon Charlie Wilson), de le servir au mieux.
Cet héritage de l'époque précédente est flagrant dans la première partie, admirable mécanique comique culminant dans la scène de l'hôtel entre Robinson et Braddock. Mais il y a autre chose qui déborde du Lauréat : cette énergie juvénile qui prend le pouvoir au cœur du film, puis au sein de chaque plan.
Une énergie qui, comme le remarque Jean-Baptiste Thoret dans son Cinéma américain des années 70 (où il livre une analyse définitive du film, dont on s'inspire largement), se heurte à la question du «qu'en faire ?». Au dernier plan, la jeunesse a triomphé, mais c'est un grand vide inquiet qui s'installe, que les notes sublimes de Simon and Garfunkel nappent d'une couche de mélancolie.Le Lauréat, de Mike Nichols (1967, ÉU, 1h45) avec Dustin Hoffman, Anne Bancroft, Katharine Ross… À l'Institut Lumière du 18 au 20 avril


<< article précédent
Danse avec la Sioux