Jouissance entravée


Théâtre / "Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants". À force de n'en entendre que la fin, on oublie que les contes pour enfants sont bien moins niais qu'il n'y paraît. Tortures physiques, solitude, injustice, abus de confiance, Joël Pommerat a choisi de garder ce qui fait l'essence du Pinocchio de Carlo Collodi. Il montre ce qui est redouté, pour mieux le mettre à distance par l'ironie et le rire, dans une version qui ne se veut pas moderne à tout prix.
Certes Pommerat réécrit le conte, coupe des passages, supprime des personnages et remet quelques éléments au goût du jour (les liasses de billets ont remplacé les écus d'or), pourtant, dans son adaptation, le metteur en scène ne se débarrasse pas des accès moralisateurs et des théories éducatives discutables dont Pinocchio fait les frais dans la version originale. Ce qui fait son actualité, sa "modernité", c'est cette mise en images, en sons et en mots de la violence ; la violence de renoncer aux plaisirs et à la jouissance immédiats, la violence de se confronter à la réalité.
Avant d'accéder à l'humanité et de devenir un vrai petit garçon, le Pinocchio de Pommerat devra comme l'original renoncer à ses désirs par différentes épreuves, connaître les espoirs déçus, être changé en âne et réussir à sortir du ventre d'une baleine, aidé par son vieux père et une fée. L'ensemble, mené par la voix d'un narrateur-animateur torse nu qui a pris le relais du criquet, n'est pas qu'intelligent.
Il est également d'une rare beauté et les images que nous offre Pommerat (la mer déchaînée, l'apparition de la fée, l'utilisation parfaite des filtres) sont de nature à marquer longtemps l'esprit du spectateur, jeune ou moins jeune.
Dorotée AznarPinocchio ms Joël Pommerat (à partir de huit ans)


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