«Une chance sur quatre»

Entretien / Jérôme Delormas, directeur artistique du projet Lyon, capitale européenne de la culture en 2013._ Propos recueillis par Dorotée Aznar


Petit Bulletin : Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la mission d'un directeur artistique dans un dossier comme celui de la candidature de Lyon au titre de capitale européenne de la culture ? Jérôme Delormas : Le rôle d'un directeur artistique est différent selon les contextes et selon les villes. Dans mon cas, ma fonction principale est de dégager et de proposer un scénario général pour la candidature de Lyon, de rendre cette candidature lisible, cohérente et performante. Vous travaillez à partir des projets qui vous sont présentés par les acteurs culturels ?
Oui, je dois faire un choix parmi tous les projets qui sont arrivés spontanément et je travaille également à partir de la perception du territoire... Il s'agit de proposer un projet global qui mette tout cela en musique et fasse le lien entre des projets qui peuvent s'ignorer. Mon rôle est de rythmer l'année 2013, son avant et son après, sur le plan culturel et artistique. Pourquoi, à votre avis, a-t-on fait appel à vous, alors même que vous n'êtes pas issu du tissu culturel local ?
En fait, j'ai une position particulière. En tant que directeur culturel à Valence, je connais bien la région. En même temps, je ne suis pas un acteur culturel lyonnais, je n'ai pas d'enjeux ou d'intérêts personnels sur ce territoire. Je pense que ce double profil me permet d'avoir une vision plus globale et une certaine liberté...
Si le directeur artistique avait été Lyonnais, il y aurait forcément eu un aspect plus personnel. Vous avez été directeur artistique des Nuits Blanches à Paris en 2007, or on sait que la vie nocturne n'est pas le point fort de Lyon. Est-ce un domaine sur lequel on vous a demandé de réfléchir particulièrement ?
Non, on ne m'a pas demandé de travailler sur un point en particulier. Le problème de la ville de Lyon n'est pas lyonnais, c'est ce que connaissent les villes très structurées sur le plan culturel. C'est un avantage, mais en contrepartie, cela donne l'image d'une ville un peu installée. Les cultures émergentes doivent avoir leur place dans la candidature de Lyon, car elles existent mais n'ont pas la reconnaissance qu'elles attendent ou qu'elles espèrent. Pouvez-vous nous donner un exemple de cette "culture émergente" ?
Prenez le jeu vidéo par exemple, c'est un secteur très important à Lyon, notamment sur le plan économique et je pense qu'il ne faut pas se priver de l'exploiter. Lyon réussit à faire le lien entre des pratiques créatives et des filières industrielles. Il y a de nombreux domaines auxquels on ne pense pas spontanément alors qu'ils sont passionnants et bouillonnants. Je pense que l'on peut être créatif sans être alternatif. Votre travail est également de mettre en lien des projets, pouvez-vous nous donner un exemple de projet ?
Nous travaillons sur des thématiques transversales. Prenez la santé par exemple, c'est un domaine que l'on peut aborder par l'angle culturel et débordant du côté du bien être dans la ville de demain. C'est un axe qui nous permet d'aborder la cuisine (gastronomique, populaire, innovante, familiale ou même le fooding), la question des produits, de l'urbanisme, des designers, des artistes... Quels sont les délais que vous devez respecter pour le dépôt de projet ?
Nous rendons le projet de Lyon le 17 août au ministère de la Culture et la soutenance aura lieu mi-septembre. Il faut que le dossier soit bouclé au début de l'été. Heureusement, quand je suis arrivé, un énorme travail avait déjà été fait et il y avait beaucoup de projets sur la table. On se souvient de la volonté de Saint-Étienne de devenir capitale européenne de la culture. Travaillez-vous en partenariat avec cette ville et l'aspect régional a-t-il été mis en valeur ?
Oui, même si la candidate au titre est la ville de Lyon, nous travaillons sur une trame régionale. Il serait dommage de se priver des points forts de la région ; par exemple, nous allons mettre le paquet avec la Cité du Design de Saint-Étienne... Nous allons également mener un travail sur les territoires entre Lyon et Saint-Étienne qui sont un véritable enjeu stratégique et culturel, travailler avec Genève, Turin.... Des critiques s'élèvent contre cette candidature, accusée de mettre à la marge les petites structures, qu'en pensez-vous ?
Quoi que l'on fasse, il y aura toujours des frustrations, les critiques n'ont pas un caractère exceptionnel. Ce n'est pas pour me défausser, mais je pense que certains débats relèvent de la politique culturelle de cette ville et c'est aux politiques d'y répondre. Cette candidature ne va pas régler les problèmes des petites structures, des associations, mais je veux donner des gages concernant les contenus : ce projet ne fait pas de hiérarchie entre les thématiques. Je le dis sans aucune démagogie, tout le monde a sa place dans cette candidature. Certains projets alternatifs auront une grande place, mais nous ne pourront pas prendre tous les projets, sinon, nous perdrons. Notre projet doit faire rêver mais doit être réaliste et lisible. Est-ce vous confiant quant à la candidature de Lyon ?
Nous avons une chance sur quatre ! J'y crois vraiment et je pense que, quoi qu'il arrive, il faut que cette candidature ait servi à quelque chose : prendre de nouvelles habitudes, mettre en place des collaboration qui n'auraient jamais vu le jour. J'espère que les acteurs culturels prendront conscience qu'ils sont les maillons d'une chaîne et qu'au-delà des enjeux personnels, il y a la globalité.


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