L'Horloger de saint-popol

Musique / Dionysos, emmené par son bouillonnant et bondissant leader Mathias Malzieu, remplit deux Transbordeurs cette semaine, transformant en live un concept album aux allures de superproduction, «La Mécanique du cœur». Christophe Chabert


Que va-t-il rester, sur scène, de La Mécanique du cœur, le dernier album en date de Dionysos ? Question évidente, tant le disque s'appuie sur un casting qui en jette, avec des noms vénérés (Bashung, Rochefort, Arthur H, Cantona) et d'autres moins excitants (Emily Loizeau, Grands corps malade et, comme il se doit, Olivia Ruiz). Ne pouvant emmener tout ce beau monde en tournée, Mathias Malzieu et son groupe ne devront compter que sur eux-mêmes pour enflammer les foules. Gageons qu'ils n'auront aucun mal à y parvenir : Dionysos est depuis belle lurette un véritable cracheur de feu en live, les acrobaties, sauts de cabri et autres slams christiques au milieu du public effectués par Malzieu, au diapason d'un son rock dévastateur, produisent une énergie à la fois violente et bon enfant, qui transforme la moindre ritournelle en communion païenne. Le Transbordeur n'est pas plein à ras bord deux soirs de suite pour rien !

Myocarde sur table

Dionysos tient ainsi jusqu'au bout son rôle de «groupe du milieu» (pour emprunter l'expression contestable appliquée par Pascale Ferran au cinéma d'auteur ambitieux). Avec une rectitude et une probité qui forcent le respect, Malzieu et ses amis poursuivent un chemin exemplaire, expérimentant sur disque et assurant sur scène, fédérant sans compromis et sans démagogie plusieurs générations d'auditeurs. La Mécanique du cœur confirme cette démarche sincère et candide : pour illustrer une histoire qu'il a par ailleurs couchée par écrit dans un roman éponyme, Malzieu s'appuie sur des arrangements faits de cloches, coucous et autres carillons, percussions mécaniques ou cœur musical figurant l'horloge interne de son «héros». Se profile derrière cette joyeuse sarabande l'ombre de Pierre Henry et de sa Messe pour le temps présent ; cette influence-là, comme autrefois celle des Beastie Boys ou de Pavement, vient mettre un peu de piment dans des chansons tout sucre et tout miel. Idem pour les textes, pas toujours orthodoxes dans leur contenu, hantés par la mort et le sexe, obsessions à peine voilées derrière des métaphores transparentes. Ce côté canaille fait dérailler une mécanique qui pourrait paraître un peu trop huilée, et rappelle opportunément que Dionysos est un groupe à la recherche d'une adolescence éternelle, aussi juvénile que le visage de Malzieu lui-même. S'il y a folie, ce n'est donc pas celle des grandeurs (même si son projet de passer à la réalisation cinéma aux côtés du producteur Luc Besson donne quelques sueurs froides…), mais plutôt celle des glandeurs, suffisamment talentueux pour en mettre plein la vue au bon moment, avant d'aller se lover de nouveau auprès de leur brune.

Dionysos Au Transbordeur les 22 et 23 mai «La Mécanique du cœur» (Barclay/Universal)


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