Kylian, l'âme au corps


Danse / Farouche et fragile comme une oiselle, légère et fluide comme un corps de vapeur, une danseuse ouvre en zigzag un chemin de lumière parmi les ténèbres de la scène. Des voix chantées s'élèvent doucement, l'onde d'un violoncelle sinue, un décor architectural abstrait s'éclaire, puis surgissent, issues de nulle part, une deuxième, une troisième, une quatrième danseuse… Des filles, et bientôt des garçons, qui frôlent l'espace, caressent le vide, s'enroulent sur eux-mêmes ou autour de l'autre, partenaire fugace, dans des duos superbes. Les mouvements sont doux ou aigus, vifs ou ralentis, vibratiles ou sûrs, mais toujours délicats, sobres et poignants. Depuis trente ans, Jiri Kylian nous parle d'amour et de mort, d'aliénation et de liberté individuelle, de chute et d'élévation : oui toujours et « seulement » de cela, mais avec quelle grâce, quelle inventivité gestuelle de chaque instant, quel génie du détail et de la forme ! Dans une pénombre bleutée, ses interprètes cherchent un chemin, un peu de lumière, un équilibre, une étreinte ; confrontés aux énigmes de l'existence et sans cesse menacés de solitude et d'abandon. Divisée en trois parties distinctes, One of a kind (créée en 1998) semble néanmoins s'étirer sur une durée continue, dans une même étoffe, un même flux aux multiples figures. La pièce est comme une longue exhalaison sombre et soyeuse, tissée de musique, au sein de laquelle varient subtilement vitesses et lenteurs, ombres et clartés, surgissements et disparitions. Si l'âme est ce souffle qui donne forme à la matière et au corps, alors la danse de Kylian relève sans doute de celle-ci. Espérons que le Ballet de l'opéra, à qui le chorégraphe transmet son chef-d'œuvre, saura en percer les secrets fragiles et précieux.Jean-Emmanuel Denave"One of a kind" de Jiri Kylian par le Ballet de l'Opéra de Lyon À l'Opéra de LyonJusqu'au 14 juin


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Ellen, elle s'appelle Allien