On s'fait une bouffe ?

Cirque et Théâtre / Nouvelles coqueluches du théâtre contemporain, David Bobée et Renan Chéneau présentent aux Subsistances Cannibales, pièce pluridisciplinaire, existentielle et… prometteuse ! Jean-Emmanuel Denave


Nés dans les années 1970, adolescents dans les années 1980 quand «Dorothée passe d'Antenne 2 à TF1» et avec «l'apparition des cracottes chez Heudebert», adultes dans les années 2000, ils constatent «que rester vautré, recroquevillé chez soi, avec la dernière livraison de Jack Bauer, saison 4, n'est finalement pas ce qui peut nous arriver de plus mal…»… Voilà où nous en sommes, voilà où ils en sont, eux, couple trentenaire petit-bourgeois habitant un appartement immaculé et quasiment décalqué d'un catalogue d'Ikéa. C'est dans cet intérieur qu'on les découvre, «Elle» et «Lui», et dans l'intimité de leurs discussions décousues à propos de sexe, de bonheur, de science, de politique, de tout, de rien, de pas grand chose, de ce qui reste… Dernier volet d'une trilogie qui peut se découvrir séparément, Cannibales a été écrite par Ronan Chéneau directement sur le plateau avec la complicité du metteur en scène David Bobée et de ses comédiens : «Mon travail d'écriture se fait au cœur même de la machine théâtrale, avec le travail, de la lumière et du son, le jeu, la mise en scène, pour être contaminé par eux, toujours proche du vivant, du présent. En période de création, j'écris et réécris sans cesse, j'ajuste, j'adapte, j'enlève ou je remets en fonction de ce que me disent les uns et les autres», déclare le dramaturge. À-vide
Sa pièce ressemble à un cut-up contemporain, collage, brut et sans style, de vocabulaire d'aujourd'hui (sigles, marques, références culturelles), de phrases toutes faites ou presque, de morceaux de notre banalité socio-libérale tout à la fois étouffante et doucereuse, et de cris de révolte sans but ni terre promise…
Prenant beaucoup de risques (et notamment celui d'en faire un peu trop), David Bobée joue la carte d'un théâtre total en incluant dans sa mise en scène de la musique pop-rock, du slam, des écrans vidéos, de la danse, des jeux de lumières en clair-obscur et nombre d'effets «plastiques». Les deux protagonistes sont aussi «doublés», «ombrés», par la présence de circassiens évoluant sur un mât chinois ou sur un fil de fer. Bobée refuse néanmoins «la narration, l'illusion, le mensonge du théâtre et de ses personnages en y opposant la fragmentation des textes, la poésie des images, la prise de parole et la sincérité des personnes». Pièce fragmentée et continuellement sous tension, Cannibales montre notre tribu individualiste et capitaliste, dont la vie confortable et tranquille finit par se dévorer elle-même dans la casserole de sa propre vacuité… Cannibales de Ronan Chéneau, mise en scène David BobéeAux SubsistancesLes 18, 19 et 20 juin


<< article précédent
Phénomènes