Prodiges sur un plateau


Classique / Les Nuits de Fourvière osent la musique classique. Certes au compte-goutte, certes avec des noms et des renoms. Il fallait tout de même le faire et si l'on se met à regarder de près, le programme ne tombe ni dans la facilité, ni dans la grande démagogie où chacun devrait s'y retrouver en fredonnant quelques extraits de tubes.
Cette soirée commence avec Ernest Chausson, compositeur romantique au charme désuet, quasi inconnu du grand public. Elle se poursuit avec Ravel sans son Boléro pour se terminer par la 5e symphonie de Tchaïkovski moins connue que l'autre (celle de Beethoven). L'Orchestre National de Toulouse sous la direction du russe Tugan Sokhiev a résolument choisi des œuvres aux caractères trempés, fougueux voire impétueux. Le violon solo, Laurent Korcia, invité dans le monde entier auprès des chefs les plus élégants du moment, a un jeu d'une inventivité, d'une présence rare dans un univers assez uniformisé. La rencontre entre deux bêtes de scène de cette envergure ne peut donner qu'une soirée électrique et singulière. Pour entrer à plein dans ce concert, il est nécessaire de se familiariser davantage avec Ernest Chausson, le moins illustre, le plus énigmatique. C'est un musicien atypique, un compositeur venu à la musique sur le tard. Un dilettante diront ses détracteurs. D'abord avocat à la cour d'appel de Paris, il s'inscrit en auditeur libre dans la classe de composition de Jules Massenet puis étudie avec César Franck. On classe traditionnellement son œuvre en trois grandes périodes : une première héritée de Massenet, où il compose des mélodies un peu mièvres, une seconde plus féconde sur le plan artistique d'où émergent sa Symphonie en si b, son opéra Arthus et encore son concerto pour piano, violon et quatuor à cordes. Enfin sa troisième période caractérisée par l'influence des écrivains russes tels Dostoïevski, Tolstoï et Tourgueniev d'où provient Poème pour violon et orchestre, œuvre d'une belle et libre ingéniosité. Tzigane de Ravel est un bijou où le soliste se met vraiment en danger tant les pages virtuoses se succèdent pour le plus pure bonheur des spectateurs. Quant à la 5e symphonie de Tchaïkovski, laissons nous porter par ses questionnements. Quelles questions ? Interrogations sur le destin, comme l'autre…(celle de Beethoven).


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Du cinoche dans les tuyaux