Money for nothing, rap for free

Rap / Malgré de belles fulgurances, le rap lyonnais peine à exister hors des circuits des maisons de disque. Et si la gratuité et l'ultra-visibilité d'internet venaient aider les artistes indé ? Trois rappeurs du cru se frottent à l'exercice du net album. Antoine Allegre


Ce n'est pas très gentil de télécharger la musique illégalement. Mais si l'artiste donne son aval, le geste est sport. Et évidemment pas désintéressé. Le rap est en constante en recherche de buzz par le biais des sites communautaires (skyblog, myspace…). Lorsque les Lyonnais Gourmets lâchent leur net-album en 2005 Le plus Gourmand des Gourmets, cette pratique de "piratage légale" n'est que peu répandu. "À l'époque, on a dû arbitrer entre l'envie de satisfaire le public et nos moyens de diffusion /…/ on a donc offert nos morceaux" déclare Liqid, rappeur du groupe. Résultat : plus de 25 000 exemplaires téléchargés, un succès d'estime et une tournée. Ça ne sera pas forcément la même paire de manches pour les trois mcs du cru qui offrent leur production sur le net. Ils se prénomment Libre Penseur, Missak et Fayce le Virus.

Sorti de nulle part
Pour créer ce fameux buzz, Libre Penseur, "lyriciste" membre de l'excellent groupe de scène Zéro Pointé, a sorti son maxi Electron Libre gratuitement sur le net avant l'été. Celui qui se définit comme un élève de fond de classe, qui aime la musique, l'écriture et le flow musical est du genre à mélanger hype et taudis. Déjà fendu à l'exercice de la gratuité, Libre Penseur en est à son troisième projet gratuit. Il certifie que "le prochain sera payant". Il avoue que "c'est un sacrifice de sortir un disque gratuit. Mais un produit gratuit n'est qu'une démo, histoire de montrer aux gens ce que je sais faire". La démonstration est en tout cas prometteuse. Missak est compositeur et rappeur "autant dire, qu'en 2008, je suis dans la merde si je compte sur les gens pour aller acheter ma musique", ironise-il. "On peut tous sortir des albums et envahir avec nos disques, mais moi, personne ne me connaît, je sors de nulle part". Il ne s'avoue pas plus inquiété par le fait "d'habituer les gens à la gratuité. Il n'y a pas de rabais, c'est à la limite du marketing… Les gens n'achètent pas leur maison sans l'avoir visitée". Son maxi se veut le fruit de ses influences larges : "issu du hip-hop, je me suis orienté vers le trip hop, l'électro et tout ce qui me passe par la tête". Pour ce grand fourre-tout cérébral intitulé "perkiz mentale, le maxi" (en ligne depuis le 20 juillet), Missak invite ses confrères Fayce, Libre Penseur, Les Gourmets, Nikkfurie de La Caution, les anglais Foreign Beggars… Presque aussi sombre que son tourmenté net-album Pensées Chaotiques, Fayce le Virus se considère "comme un artiste et pas comme un marchand. Mon œuvre est un don, j'ai abandonné toute idée d'en vivre un jour. Cette précarité et sa souffrance sont indispensables à ma créativité". Selon lui le "sacrifice" de son puissant album le rend encore plus beau. "La gratuité m'a permis de m'exprimer sans contrainte" ajoute-il. Fayce ne s'est pas privé en délivrant un album d'une rare vérité, âpre et sans égotrip balourd, exercice très répandu dans le rap.


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