CARLOS REYGADAS
"Batalla en el cielo"
Il aura mis du temps à atterrir dans les bacs français, mais le voilà, en même temps que le dernier film de Reygadas Lumière silencieuse (toujours pas vu, d'ailleurs…) : Batalla en el cielo a gardé quatre ans après sa réalisation toute sa force, sa pertinence et ses ambiguïtés. Le premier plan, scotchant, est un travelling circulaire en gros plan et en plongée sur une jolie nymphette aux cheveux rasta attachés avec des coquillages suçant lentement le sexe d'un homme bedonnant. Ça s'appelle une entrée en matière choc, et l'ami Reygadas se délecte de mette ainsi le spectateur dans un état de trouble que le reste du film ne viendra pas vraiment dissiper. Car qu'il s'agisse de filmer le quotidien de ce garde du corps misérable et mutique ou ses collusions sexuelles avec la fille à papa qu'il est chargé d'escorter, le cinéaste ne se dépare jamais d'un regard étrangement distant, uniquement troué par des pointes de lyrisme d'autant plus étranges qu'elles débarquent dans des scènes presque périphériques (la partie de foot au ralenti, par exemple). Mais Batalla en el cielo n'est pas qu'un exercice de mise en scène de la part d'un réalisateur un peu trop sûr de son talent. Il s'agit aussi d'une peinture politique cruelle de la lutte de classes conçue comme une lutte des corps : tout est dans la position dominant/dominé, dans une voiture à Mexico city ou dans un pieu à l'horizontale. À redécouvrir d'urgence.
CC