Le réel à coups de sabre
publié dans Cinéma par Christophe Chabert le Lundi 8 septembre 2008
Jusqu'à début novembre, vaste rétrospective à l'Institut Lumière de l'œuvre d'Akira Kurosawa, cinéaste japonais qui, à l'inverse d'Ozu ou Naruse, a tracé des ponts entre l'Occident et son pays, alternant fresques historiques et chroniques sociales.
Christophe Chabert
Amis geeks, saviez-vous que derrière Star Wars se cachait l'influence décisive d'un chef-d'œuvre d'Akira Kurosawa, La Forteresse cachée ? Que l'ami Lucas avait créé son célèbre duo de droÏdes en pensant aux deux paysans nigauds qui recherchent, en pleine guerre des clans dans le Japon féodal, une forteresse pleine d'or ? Et qu'il avait, en guise de tribut payé au maître, financé un de ses films les plus épiques, l'étourdissant Kagemusha — présenté en version intégrale dans la rétrospective consacrée par l'Institut Lumière ? Mais s'il fallait être tout à fait honnête, on devrait aussi souligner que ses monuments du film de chevalerie sont très liés à la lecture des pièces de Shakespeare et à la vision des westerns de John Ford… Autant dire que Kurosawa, à la différence des autres maîtres japonais, qu'ils se soient illustrés dans le cinéma de genre (le film de sabre façon Misumi), ou la chronique sociale (Ozu), a toujours tourné ses films avec un œil braqué sur l'Occident.
Vivre, dans la peur…Les plus célèbres en font la démonstration évidente : Les Sept Samouraïs est un sublime western, Ran et Le Château de l'araignée sont deux adaptations directes de Shakespeare, respectivement Le Roi Lear et Macbeth. Dans son dernier film vraiment marquant, Rêves, c'est à la peinture qu'il rend hommage, envoyant un visiteur de musée japonais sur les traces de Van Gogh (interprété par Martin Scorsese, encore un fan !), avant de le faire voyager dans ses toiles… Mais ce sont dans les «marges» intimistes de son cinéma que Kurosawa crée les liens les plus inattendus avec ses pairs européens : L'Idiot transpose dans le Japon de l'après-guerre le récit de Dostoievski, Les Bas-Fonds adapte le livre de Gorki à la réalité de son temps et de son pays. Enfin, Dodes'kaden, le film qui l'a conduit à la faillite et à un suicide raté, se regarde comme une version très libre de Los Olvivados, où la misère des quartiers populaires de Tokyo est transcendée par les rêves d'un jeune garçon. Ce regard social et contemporain, souvent éclipsé par des productions plus colossales, est pourtant largement présent (et même majoritaire) chez Kurosawa. Obsédé par les conséquences de la guerre et des deux bombes atomiques (un thème qui traverse son cinéma, de Vivre dans la peur jusqu'à Rhapsodie en août), recherchant l'espoir dans les sombres décombres d'un Japon meurtri (le sublime Vivre, le magistral Barberousse), il a créé une œuvre humaniste à tous les sens du terme : curieuse du monde, respectueuse de ses personnages, lucide face à l'Histoire.Rétrospective Akira Kurosawa
À l'Institut Lumière
Jusqu'au 5 novembre