Maylis de Kerangal

Corniche Kennedy (Verticales)


La corniche Kennedy, qui donne son titre au nouveau roman de Maylis de Kerangal, est une plate forme de la côte marseillaise où une bande de jeunes de toutes les origines sociales se réunissent pour se jeter à l'eau du haut des rochers : «Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur âge dilaté entre treize et dix-sept, et c'est un seul et même âge, celui de la conquête : on détourne la joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison». La hiérarchie du groupe se détermine par le degré d'espièglerie de ses membres : il y a ceux qui se contentent du saut de 3 mètres, ceux qui osent le «just do it», un saut de 7 mètres, et les rares, dont le caïd Eddy, qui vont jusqu'au «face to face», d'une hauteur de 12 mètres. Si Maylis de Kerangal parvient avec une émouvante justesse à cerner les enjeux de l'adolescence, son roman ne s'arrête pas à cette chronique. En opposant à cette insolente jeunesse un responsable de la sécurité du littoral en bout de course, dont l'existence se dilue au gré des cigarettes qu'il fume et de la vodka qu'il ingurgite, ainsi qu'un maire adepte du risque zéro et du «tout sécurité», la romancière parvient avec beaucoup de subtilité à capter les clivages entre les générations, les dérives de nos sociétés sécuritaires, les angoisses face à la vitalité de la jeunesse d'une population vieillissante et craintive. Sa langue, qui rappelle la vigueur et la grâce des jeunes corps en mouvement, donnent à ce roman envoûtant une énergie et un souffle qui donnent le vertige.
YN


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