Bordel organisé

Rencontre / Le très prometteur Frédéric Ciriez sera le premier invité des «samedis littéraires» de la Villa Gillet à l'occasion de la parution de son premier roman, Des néons sous la mer, un conte immoral d'une réjouissante inventivité. Yann Nicol


Que faire d'un sous-marin militaire échoué en baie de Paimpol et dont la force de frappe n'est plus qu'un lointain souvenir ? Un bordel, pardi ! Nous sommes en 2011. Une loi autorisant la réouverture des maisons de joie permet à une poignée de prostituées de racheter à l'état Le Fascinant (rebaptisé Olaimp) et de transformer ce bâtiment militaire en un «vaisseau de passes». La visite guidée est menée par l'un des employés de l'établissement, le dénommé Beau vestiaire, qui nous livre, par le prisme d'un carnet de bord loufoque et débridé, une vision saisissante de la vie mouvementée d'un bordel en même temps qu'une réflexion passionnante sur les enjeux de la prostitution. Il y a, d'abord, les «portraits de la prostituée en jeune femme». En quelques mots, Beau vestiaire esquisse les croquis de ces personnages au parcours chaotique ayant finalement échoué à l'ombre des néons qui ornent l'Olaimp : Morgane, Rubis, Sissi ou Micmac, qui, par son origine indienne, offre aux «gars d'ici» une «carte de visite exotique» : «J'ai la peau couleur bois brûlé, des cheveux sang de crotale, des dents blanches comme des œufs de hiboux, des boules [des seins] avec de beaux mamelons marron, comme des cocottes [des pommes de pin]… J'aime bien le sexe, mais j'aime encore plus l'argent, ça, j'ai toujours été comme ça et j'changerai pas». Un exemple, parmi tant d'autres, de la verve enchanteresse et singulière de Frédéric Ciriez…

Roman concept, roman tout court

Mais la description de l'Olaimp ne s'arrête pas au recensement de ses sémillantes tenancières. La lecture de la table des matières suffit d'ailleurs à éclairer le projet farfelu de l'auteur : de l'«approche phénoménologique d'un bâtiment de la marine nationale» à l'«approche pratique des chambres de joie», en passant par les approches «textuelle du folklore érotique breton» ou «ethno-corporelle du personnel de bord», Des néons sous la mer multiplie à l'envi les angles d'attaque, les matériaux, les niveaux de lecture, pour livrer finalement une envoûtante et kaléidoscopique vision du phénomène : des extraits de la Boîte à désirs (le courrier des clients, en quelques sorte), la carte du restaurant et des plaisirs proposés dans l'établissement, mais aussi des CV, des lettres, des fugues… Autant d'inventions formelles qui s'inscrivent avec beaucoup d'intelligence dans le projet global et qui font de ce livre, à la fois déjanté et profond, un exercice de style réussi, un roman concept comme la littérature française n'en avait pas connu depuis bien longtemps. La bonne nouvelle, c'est que Frédéric Ciriez termine ce très bon premier livre avec la mention «à suivre». Dernier clin d'œil parodique ou véritable pont vers un deuxième volume ? Réponse le 4 octobre à 16h30 à la Villa Gillet…


<< article précédent
Inventaire en temps d’anniversaire