Blindness

Une épidémie de cécité conduit à des mesures sanitaires radicales : une fable au futur récent signée Fernando Meirelles, soutenue par une mise en scène expérimentale et terrifiante. Christophe Chabert


Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Oui, mais s'il n'y a même plus de borgne pour gouverner ? C'est, à peu de choses près, le pitch de Blindness, troisième film de Fernando Meirelles, réalisateur remarqué avec La Cité de Dieu et The Constant gardener. Dans une ville inconnue, un automobiliste est frappé en pleine rue par une forme étrange de cécité qui s'avère contagieuse. Un ophtalmo, une prostituée, un voleur et un barman font partie des premières victimes, parquées dans un hôpital transformé en prison militaire où chaque dortoir établit ses propres règles de vie. À la démocratie du dortoir 1 répond la dictature violente du dortoir 3, qui cherche à régner sur les autres groupes. La parabole du livre original de Saramago, reprise par Meirelles, affirme ainsi que cet aveuglement est un révélateur des bassesses d'une humanité qui plonge dans les ténèbres.

La Cécité de Dieu

D'un pessimisme absolu malgré la lueur d'espoir qu'incarne la femme du médecin (dans le film, aucun personnage n'a de nom) interprétée par Julianne Moore, qui cache aux autres qu'elle n'est pas touchée par la maladie, Blindness ne serait qu'une fable démonstrative et parfois insistante si Meirelles n'y faisait preuve d'un sacré sens de la mise en scène. Dès les premiers plans, une sensation de terreur envahit le spectateur face à ces images aux teintes laiteuses, ses gros plans illisibles (un feu de signalisation, un jeu de reflets dans des vitres) et sa bande-son menaçante. Le cinéaste utilise avec beaucoup d'habileté les codes du cinéma de genre pour donner de la consistance à cet univers glacial, inhumain avant même le premier cas de l'épidémie. Meirelles se laisse ainsi aller à de stupéfiantes expérimentations pour faire ressentir l'aveuglement : plans flous, cadrés à l'aveugle, surexposés ; son désynchronisé ou outré comme si la perte de la vision entraînait une stimulation de l'audition…

Ça ne pourrait être que des gimmicks de réalisation, mais leur efficacité indéniable (le film se vit autant qu'il se voit) conduit plaisamment le récit vers sa dernière partie, plus classique mais vraiment fascinante. De retour à l'air libre, dans un monde dévasté ou les survivants ressemblent aux zombies de Romero, il faut réapprendre à vivre et recréer du lien. L'ambiguïté de la morale finale en dit long sur la vision que Meirelles a de ce nouveau monde : barré par un rayon de lumière qui l'éclaire et l'aveugle en même temps.

Blindness
de Fernando Meirelles (Brés-Can-Jap, 2h) avec Julianne Moore, Mark Ruffalo, Gael Garcia Bernal…


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