Faik Odyssée

Faik Sardag, chanteur turc des lyonnais Fake Oddity. Un temps menacé d'expulsion par la France et déclaré fugitif par l'armée turque, il a enregistré à Istanbul le dernier album du groupe, sorti simultanément dans les deux pays. Stéphane Duchêne


Scalde, qui connait sa scène lyonnaise par cœur, résume ainsi le fonctionnement du groupe Fake Oddity : «Antoine, le guitariste, fait office de papa, il organise. Faik, c'est la maman, il s'occupe des autres, leur fait des bisous». Scalde ne plaisante qu'à moitié. Car Faik est du genre à insister pour faire la bise aux gens, à répéter plusieurs fois pendant un entretien à quel point il «aime les gens» et que c'est même la principale raison qui l'a incité à proposer d'organiser le Pop Club du Sirius.

Peu raccord avec l'image du derviche tourner de têtes qui, sur scène, n'hésite pas à tomber la chemise et à bomber le torse. Dans le civil, le garçon est plutôt discret et se désole de la confusion que peuvent entraîner les sonorités voisines de son prénom et du «Fake» de Fake Oddity, coupables de présenter involontairement le groupe comme sa propriété : «C'est juste une contraction de Fake Plastic Trees de Radiohead et Space Oddity de David Bowie. Quelques semaines après qu'on ait choisi ce nom quelqu'un m'a dit : «tu te la pètes, avec ton prénom dans le nom du groupe». «Je ne m'en étais même pas aperçu».

On le croit sincère car trop abandonné à l'émotion pour être rendu au calcul : «C'est vrai que je suis plus dans l'affectif mais comme je chante, je suis forcément plus sensible, tout passe par la voix». Cette voix, signature de Faik, quelque part entre Thom Yorke et Jeff Buckley, avec davantage de rondeur, a jailli presque par hasard après quelques années de batterie et de guitare dans les bars stambouliotes. Vieil atavisme familial semble-t-il : «j'ai appris récemment que dans sa jeunesse mon père chantait parfois en chœur avec sa famille. Il paraît qu'il a une voix terrible mais je ne l'ai jamais entendue».

Il faut dire que le paternel ne prend guère la musique au sérieux. Non qu'il aurait vu son fils médecin ou avocat, comme tout parent : «en fait, il aurait préféré que je sois réalisateur ou sculpteur…», un vrai métier quoi. Outre cette voix, l'héritage familial comprend des envies d'ailleurs, père albanais, mère à moitié italienne, d'un milieu aisé, ouvert sur le monde et la culture : «Les Turcs aiment rester entre eux mais, pour mes parents, voyager et parler des langues étrangères est important. Je suis parti de Turquie pour faire des études de dessin mais surtout pour changer de vie».

Le fugitif

À Lyon, l'école de dessin est d'ailleurs vite délaissée au profit de la musique quand Faik passe devant le Conservatoire et s'y inscrit, rencontrant ensuite Antoine, Fred (batterie) et Mathieu (basse) via ces petites annonces musicales qui ont bâti tant de groupes importants. Le groupe finira par prendre le dessus sur les études, entre tournées des bars lyonnais et album autoproduit.

Mais pour tout étudiant étranger, l'arrêt des études signe la fin du séjour et de la carte qui va avec, et Faik doit alors rentrer en Turquie. Problème, depuis deux ans, il y risque gros : «mes études de musique n'étaient pas prises en compte par la Turquie qui réclamait que je vienne faire mon service militaire pendant 18 mois. Dans les administrations turques, mes parents pouvaient voir ma tête sur la liste des fugitifs. Mais rentrer, ça voulait dire la fin de ma vie en France et de Fake Oddity».

Une mobilisation d'acteurs locaux, Dandelyon et Mediatone en tête, parvient à faire comprendre à la préfecture que Faik a un projet sérieux dans la musique. Idem du côté du consulat qui repousse enfin aux calendes grecques le service militaire turc. Sur la question inévitable de l'entrée de la Turquie en Europe, Faik repousse poliment l'invitation à politiser. Tout juste admet-il que ses mésaventures personnelles lui ont fait embrasser la condition de ce pays apatride continental, à cheval sur l'Europe et l'Asie : «à cette époque, dit-il, je ne me sentais chez moi nulle part».

Alors quand on offre à Faik, Ulysse rock n'roll enfin autorisé à regagner son Ithaque turque, l'opportunité d'enregistrer un album à Istanbul avec Fake Oddity, il y voit une belle revanche : «je pouvais rentrer en Turquie et en plus on me payait le voyage, le studio, l'hôtel. J'ai eu l'impression d'être accueilli en héros alors que deux ans avant je me serais fait arrêter à l'aéroport». Nul doute que Faik n'y aurait alors pas récolté que des «bisous».

Carte blanche à Fake Oddity (avec Scalde, Prohom, Vale Poher, Xx Mariani…)
Au Ninkasi Kao
Jeudi 9 octobre


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