Rap, paradis retrouvé

Musique / Cette semaine, entre le passage à la Halle Tony Garnier de NTM et le concert au Transbordeur de Dj Premier et QBert, une page de l'histoire du rap s'invite à Lyon, entre nostalgie et retour aux fondamentaux. Christophe Chabert


C'était en fin de saison dernière, sur le plateau du Grand journal de Canal +. Kool Shen et JoeyStarr annonçaient officiellement la reformation de NTM. Une annonce savamment orchestrée à coups de placards-pubs dans les journaux, mais qui devenait, ce soir-là, une réalité. Et la suite : gros concerts parisiens ; pas de nouveaux morceaux mais le plaisir de faire péter les tubes d'hier ; grosse tournée dans la foulée. Qui va voir NTM aujourd'hui ? Plusieurs générations d'auditeurs, les fidèles de la première heure, des jeunes ayant grandi avec eux grâce à la pérennité FM de morceaux indémodables et des convertis tardifs au «phénomène». Par quel prodige NTM, qui faisait frémir et divisait il y a vingt ans, passe maintenant pour les Ferré de la Cité ou les Stones du 9-3 ? Le temps fait son petit office de nostalgie sélective et d'amnésie accommodante, certes, mais le long silence du groupe n'y est pas pour rien. Comme dans les westerns : un bon Indien est un Indien mort. Terrassé par le bling-bling du rap business et l'égotrip extrême de ses deux membres, NTM a rejoint le cimetière de la morale. Revenus de ce grand nulle part, Kool Shen et JoeyStarr ne font plus peur au système car celui-ci les a domptés, eux aussi. Une distance fatale s'est créée : le NTM d'aujourd'hui est devenu le NTM d'avant. Mais cette reconnaissance ambiguë est aussi une preuve définitive : le rap est entré dans les mœurs, loin de ceux qui le pastichaient avec lourdeur ou qui le stigmatisaient avec des arguments pétris de préjugés.

Un tour du monde = une révolution
Né dans les rues de Brooklyn, exporté par les ondes à travers toute la planète grâce à quelques passeurs unanimement loués (Sidney et son H.I.P. H.O.P., en France), métamorphosé par les ambitions artistiques de quelques surdoués partout dans le monde, le rap est maintenant un domaine musical tout sauf réservé. Mais cette résurrection de NTM dit aussi que s'il est un genre où le darwinisme est impitoyable, c'est bien celui-ci. Combien de groupes ont disparu dans les limbes ? Sans parler des rappeurs décédés de causes plus ou moins naturelles… Revenir après des carrières solitaires pas forcément grandioses, c'est aussi espérer retrouver un éden perdu du hip-hop, où la musique s'inventait avec la curiosité des pionniers et la rage des exclus, devant des parterres de spectateurs en symbiose avec l'état d'esprit des groupes sur scène. En témoigne l'an dernier, lors de la reformation de La Cliqua pour le festival L'Original, cette déclaration étonnante faite par Daddy Lord C. à un quotidien national : J'en suis venu à préférer écouter du rock plutôt que du rap. Le Velvet Underground ou Renan Luce me plaisent plus que du faux rap où des enfants s'inventent des passés de bandits.

Nouveaux tours de table
Le travail de l'association lyonnaise L'Original, pendant et hors du festival, a toujours été essentiel pour cette mise en perspective historique. Ils ont invité à Lyon Grandmaster flash, De La Soul, Method Man et Redman, et avant de recevoir celui qui est peut-être LE pionnier du rap Afrika Bambaataa en novembre, il propose cette semaine une affiche exceptionnelle réunissant deux Dj's américains incontournables dans l'histoire du hip-hop. Dj Premier a longtemps été l'homme derrière les platines de Gangstarr, mythique formation new-yorkaise ayant sorti quelques albums devenus des classiques. Il a aussi œuvré en solo pour des compilations mixées de haute volée, témoignant d'une oreille musicale aiguisée et d'une ouverture d'esprit (notamment sur la soul et le jazz) typique de cet esprit des «premiers temps» où le rap n'était pas une finalité, mais un espace à inventer à partir des musiques qui le précédaient. Quant à QBert, il s'est illustré comme un turntablist (l'art de créer de la musique nouvelle grâce à deux platines et une table de mixage) de génie, dont les prestations sont d'authentiques shows à voir autant qu'à entendre. Cette réunion de pointures, qui ne peut que raviver des souvenirs (les années 90, déjà lointaines), n'est pas que de la nostalgie : on ne voit pas, à part l'arthrose, ce qui pourrait freiner à l'avenir la fougue de ces mercenaires du vinyle…


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