Aux frontières du visible


C'est en silence que je me suis rendu à Oswiecim… Je ne sais pas ce qui pousse un photographe à se rendre aux frontières du visible ; en tout cas, il s'agit bien précisément pour ma part d'une quête où la photographie se révèle à nouveau peu à peu, se glissant obstinément là où on la rejette. Sincères sans être fragiles, les images se fabriquent presque d'elles-mêmes. Je le pense, écrit Emmanuel Berry. Après avoir visité les camps d'extermination d'Auschwitz Birkenau, l'artiste a décidé d'en photographier les abords immédiats, les alentours presque anodins : quelques maisons isolées, quelques bosquets, une rivière, un champ, un wagon abandonné, un cimetière, un parc, un saule pleureur… Ses images en noir et blanc de petit format sont précises, pudiques, sereines, toujours dépouillées de toute présence humaine, et rappellent l'esthétique d'un Walker Evans. Pour autant, il ne s'agit pas ici de documenter un lieu, mais d'interroger les frontières du visible. Au début de l'exposition, une première photographie montre un étroit fossé séparant en deux une étendue champêtre. Et le regard ne cessera ensuite de croiser des lignes droites ou diagonales (rails, routes, chemins, lignes blanches d'un court de tennis à l'abandon…) ou de buter sur des barrières grillagées, arborées, feuillues, ou encore des haies, des cloisons aveugles, des murs de brume ou de lumière… Autant de frontières plus ou moins discrètes et symboliques. Car à l'instar du sujet lacanien, le «sujet» (le motif) des images d'Emmanuel Berry est lui aussi barré, divisé, séparé de son hors champ historique et géographique (les camps d'extermination). Le cadre rempli de silence et d'émotion contenue est hanté de fantômes et d'une mémoire mutique et invisible. Ici peut-être plus qu'ailleurs, la photographie montre autant qu'elle cache, rend visible sur fond d'absence, et construit ses représentations au bord du vide. JED

Emmanuel Berry, Paysages à l'entour
Au CHRD
Jusqu'au 14 décembre


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