La fièvre du dessin

Expo / Christian Lhopital expose ses dessins au Musée d'art contemporain et à la galerie Domi Nostrae (derniers jours). Un univers tout en tremblements, diablement émouvant. Jean-Emmanuel Denave


Avec ses coulures, ses taches et ses traits chancelants, avec ses petits monstres acéphales, ses figures de rêves ou de cauchemars, Christian Lhopital refait surface. Il refait s'émouvoir, vaciller et se perdre le regard. La surface de ses dessins s'avère, elle, toujours double : entremêlant l'apparition évanescente de tout un «bestiaire» hétérogène (humain, animal, monstrueux…), et des préoccupations d'ordre purement plastiques, avec des histoires de matières, d'espaces, de mouvements, de rythmes, de lignes… «Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore», écrit Beckett. Mots qui résonnent particulièrement bien avec l'œuvre de Lhopital balbutiant ses efforts à la limite de l'épuisement, ses ratages réussis, ses réussites ratées, ses dérapages au bord du vide et de l'angoisse. «Il y a parfois dans mes dessins une répétition des motifs jusqu'à l'épuisement, la maladresse, le déséquilibre. Je m'intéresse aussi à ce fil qui se déroule en dessinant les figures, ce trait sinueux qui se dévide, éventuellement jusqu'à l'effondrement de la ligne sur elle-même. Je m'intéresse aux failles, aux fissures, aux passages, aux formes inachevées, aux lambeaux de couleurs...», dit l'artiste.

A cœur ouvert
Devant nos yeux, déferle donc tout un tremblement de matières et de figures. Ces dernières proviennent de sources éparses, du cinéma par exemple : Lhopital cite Bergman et rend directement hommage à Cassavetes et à l'univers de David Lynch et ses doubles, ses fantômes, ses courts-circuits entre éros et thanatos. Les figures de Lhopital dérivent aussi de l'imagerie collective ou des monstres de Goya et des failles ou «zips» de Barnett Newman… Elles proviennent de toutes parts, débordent la ligne, s'invitent impromptues dans la sarabande du tracé, accompagnées de «rires et bruits bizarres». Il y a des fantasmes qui sortent en buées d'encre de crânes, des singes tête en bas, des jolies filles sur des coussins, des pin-up qui étendent leur linge, des ectoplasmes partout… Moins convaincus par ses dessins muraux et ses grands formats où les forces plastiques de l'artiste semblent se diluer dans l'étendue, nous ne nous lassons pas de ses petits dessins jubilatoires et horriblement drôles. Et tout particulièrement de ceux qui ressemblent à des frises aux motifs répétés inlassablement, comme la juxtaposition de photogrammes de cinéma, ou une série prise en son milieu, sans début ni fin. Au cœur palpitant des images et du flux inextinguible du crayonnage.

Christian Lhopital
À la galerie Domi Nostrae, jusqu'au 15 novembre
Au MAC, jusqu'au 4 janvier


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