Burn after reading

Après la claque "No country for old men", les frères Coen allaient-ils se reposer sur leurs lauriers ? Pas du tout… Cet habile détournement des codes du film d'espionnage offre la conclusion rêvée à leur “trilogie de la bêtise“ après "O'Brother" et "Intolérable cruauté". François Cau


Les frères Coen ont écrit les scripts de No country for old men et de Burn After Reading simultanément, alternant les phases d'écriture d'un jour à l'autre. En voyant ce dernier, on devine le rôle cathartique qu'il a dû jouer dans le travail d'adaptation scrupuleux du roman de Cormac McCarthy : les Coen prennent un plaisir évident à brosser une galerie de personnages tous plus graves les uns que les autres, à les mettre dans des situations complaisamment grotesques - sans pour autant les juger avec condescendance, mais en faisant de leur idiotie l'un des moteurs de l'intrigue. Le film conte les mésaventures d'Osbourne Cox (John Malkovich, constamment au bord de la crise de nerfs), un agent de la CIA mis au rencard, trompé par sa femme au profit d'un érotomane et dont les mémoires atterrissent dans les mains du personnel d'un club de gym : Linda (Frances McDormand, géniale), la cinquantaine honteuse qui se rêve en bimbo retouchée, et son comparse Chad, littéralement abruti (Brad Pitt, incroyable). Ce qui ne devait être qu'une banale tractation va progressivement basculer dans un chaos incontrôlable.

La conjuration des imbéciles

L'explosive scène d'intro donne le ton : derrière le caractère dramatique des situations et des comportements (où pointe en permanence le spectre d'une étouffante solitude), les Coen façonnent un irrésistible décalage humoristique, aux intentions d'abord nébuleuses. Formellement, la maestria des réalisateurs contribue à semer le trouble : chaque plan est mûrement inscrit dans une dynamique de suspense, la fabuleuse photo d'Emmanuel Lubezki (Le Nouveau monde, Les Fils de l'homme) enferme les protagonistes dans une aura crépusculaire, le montage se charge d'accroître la tension aux moments clés. Autant d'éléments procédant d'un art savant de la manipulation que les réalisateurs vont déconstruire dans le dernier tiers. Burn after reading, tout en conservant ses invraisemblables atours comiques, dévoile alors sa vraie nature : un brillant exercice de style autour de la paranoïa, et surtout de son potentiel destructeur. Derrière son apparent détachement, l'hilarant dialogue final enfonce le clou de ce mal de l'Amérique contemporaine, toujours prompte à s'inventer des ennemis et à s'enfoncer dans des bourbiers inextricables. Et les Coen de confirmer qu'ils font partie des meilleurs quand il s'agit de regarder la réalité en farce…

Burn after reading
De Joel et Ethan Coen (EU, 1h35) avec Brad Pitt, John Malkovich, Frances McDormand, George Clooney…


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