Sonder l'homme


Expo / Dans l'ombre grisâtre d'intérieurs vides, quelque chose se détache : ça a une face avec des trous dedans, ça n'a pas d'âge bien défini, ça a des membres antérieurs et postérieurs, un ventre, une poitrine, c'est habillé ou nu et, de partout, ça suinte la peur, la solitude et l'isolement… «Ça» c'est un être humain, mâle ou femelle, saisi frontalement dans sa détresse existentielle. Regards apeurés ou hagards, mains qui viennent se protéger du voyeurisme du spectateur, corps qui grelottent dans la peinture. Les acryliques de Jean Rustin (né en 1928) transpercent la rétine et le crâne pour aller se loger, se recroqueviller dans un coin d'humanité quasi insoupçonné de notre système nerveux et affectif. Certains ont pu connaître un Rustin beaucoup plus obscène, tous organes génitaux déballés ou vissés les uns dans les autres… D'autres ont même pu connaître (avant 1971) un Rustin abstrait jouant de couleurs vives et presque «joyeuses», période reniée par l'artiste… L'exposition à la galerie Pallade présente des tableaux assez sobres sur le plan de la sexualité (on le regrette un peu), mais représentatifs d'une œuvre plongeant jusqu'à l'hébétude et la répétition dans les tréfonds de cette chair dérisoire et belle, belle parce que dérisoire, écorchée d'angoisse, vive jusque dans sa grisaille et son effacement. La toile dite des «Quatre pensionnaires» est parmi les plus saisissantes de l'artiste : l'ombre y est plus sombre encore, les figures plus nombreuses : pensez-vous quatre individus sur un banc ! Tout un échantillon d'humanité… Jean-Emmanuel DenaveJean Rustin
Jusqu'au 3 janvier à la Galerie Anne-Marie et Roland Pallade.


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«Des images pour le dire»