Slumdog millionaire

Cinéma / Avec beaucoup d'audace, d'enthousiasme et une absence d'ironie salutaire, Danny Boyle réussit un mélodrame indien drôle et émouvant, mélange de naïveté et de scepticisme. Christophe Chabert


Un Anglais en goguette à travers l'Inde pour y filmer le parcours, ô combien improbable, d'un gosse des bidonvilles qui touche le jackpot à Qui veut gagner des millions ? Autant dire qu'il faut quelques minutes pour perdre son scepticisme face à Slumdog millionaire, nouveau film de Danny «Trainspotting» Boyle. D'autant plus que le récit, déconstruit à partir des questions posées dans l'émission, et une mise en scène bourrée d'effets dopée à la musique branchée, ont tendance à donner le tournis, sinon la nausée. Temps d'acclimatation nécessaire donc, comme si Boyle propulsait l'Occidental que nous sommes sans boussole dans l'Inde contemporaine, son bruit et sa fureur, ses pauvres très pauvres et ses puissants très corrompus. La première bouée à laquelle on se raccroche, c'est le thème qui travaille le cinéaste depuis ses débuts : le conflit entre la volonté d'un individu et son désir de se fondre dans une communauté. Jamal, gosse des rues de Mumbai, s'en trouve une après l'assassinat de sa mère : son frère aîné, une jeune fille dont il tombe amoureux, puis d'autres gamins perdus, descendants conjoints des Olvivados et des kids des favelas dans La Cité de Dieu (film que Boyle a manifestement dans son viseur). Dans ce récit initiatique, chaque tentative pour s'inscrire dans un milieu humain se solde par un désastre dont Jamal ne réchappe que grâce à son instinct, celui qui le guidera in fine vers les plateaux télé.

Qui veut gagner un mélo ?

L'odyssée de Jamal (incarné adolescent par Dev Patel, un des comédiens de l'épatante série Skins) est aussi un portrait de l'Inde d'aujourd'hui, que Boyle regarde avec les yeux du Britannique sceptique, un peu touriste mais quand même conscient des liens de vassalité qui unissent les deux pays depuis la décolonisation. Les clichés sont bien là ; leur critique malicieuse jamais loin non plus… Parfois, le cinéaste touche du doigt quelque chose de vraiment dérangeant, comme cette entreprise de télémarketing qui reconstitue depuis Bombay la structure des rues londoniennes pour vendre aux Anglais des forfaits de mobiles ! Ces détails ne distraient cependant pas de l'essentiel : le mélodrame gonflé qu'est Slumdog millionaire. On n'a jamais vu Boyle si premier degré, concentré sur ses personnages, animé par une vraie foi dans les émotions du spectateur. Il en sort vainqueur : la dernière partie du film est vraiment touchante, et on la quitte avec une sensation d'euphorie qui gomme les réticences envers cet objet très fabriqué et pourtant parfaitement sincère.

Slumdog millionaire
De Danny Boyle (Ang-Éu, 2h) avec Dev Patel, Mia Drake, Freida Pinto…


<< article précédent
Max le dingue et George le punk