Deux insoumis

Expo / Erik Dietman et Pierre Bettencourt (respectivement exposées à la galerie Martinez et à la librairie Le Bal des ardents) sont deux grands bonhommes de l'art qui ont préféré les chemins de traverse aux autoroutes du bon goût. Jean-Emmanuel Denave


Petites sculptures en bronze difformes, expérimentations au polaroïd, hommages saugrenus à l'abstraction, estampes et dessins de monstres ou d'individus bizarres côtoyant aussi bien Eros que Thanatos… La Galerie José Martinez expose un patchwork hétéroclite d'œuvres d'Erik Dietman (1937-2002), artiste inclassable d'origine suédoise qui s'installa en France pour échapper au service militaire. On dit aussi qu'il fut renvoyé du lycée pour avoir uriné sur le drapeau suédois. Bref, le gaillard est un rebelle épris de liberté qui, s'il fut proche du mouvement Fluxus et des Nouveaux Réalistes, ne s'enrôla jamais dans un groupe. «Deux c'est déjà une armée» déclarait-il à l'envi. Gastronome rabelaisien, créateur prolifique, Erik Dietman a usé de tous les médiums plastiques pour mieux briser les académismes. On retrouve à la Galerie Martinez son goût pour les titres-jeux de mots, son obsession du corps capable de toutes les métamorphoses et hanté par la décrépitude. Certains de ses dessins font penser à ceux de Michaux, montrant davantage le passage de la vie ou d'une forme à une autre, plutôt qu'un état figé des choses, une individualité, une identité. Des œuvres dérangeantes, drôles, fortes.L'érotisme inquiet de Bettencourt
Personnage caustique lui aussi, grand voyageur et créateur évoluant hors des sentiers battus, Pierre Bettencourt (1917-2006) est une figure à la fois légendaire et discrète de la littérature. En pleine guerre mondiale, à partir de 1941, il imprime sur sa propre presse à bras ses textes poétiques et sarcastiques, ainsi que ceux de ses compagnons de route : Henri Michaux, Antonin Artaud, Francis Ponge… Il découvre en 1953 avec son ami Jean Dubuffet l'univers de l'art brut et débute alors une carrière artistique elle-aussi atypique. Utilisant des coquilles d'œufs, des grains de café, des pommes de pin, des fragments d'ardoise, il compose de saisissants hauts-reliefs. Et livre dans ses œuvres ses fantasmes érotiques hantés par la mort, l'hermaphrodisme, les liens ambigus entre le sexe et la cruauté. Ses curieux personnages blanchâtres et hypnotiques semblent sortis des rêves ou cauchemars de l'artiste, et mêlés aux mythes ancestraux, aux cultes religieux, aux arts primitifs. On pourra découvrir au Bal des ardents plusieurs dessins et hauts-reliefs de Bettencourt et surtout un grand ensemble d'obélisques, sortes de totems intemporels fascinants.Pierre Bettencourt
À la librairie Le Bal des ardents, jusqu'au 7 mars.Erik Dietman «L'élan solitaire»
À la Galerie José Martinez, jusqu'au 14 mars.


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Ricky