Marlène, à la fortune du pot

Expo / La jeune peintre Marlène Mocquet décoiffe et impressionne pour sa première et précoce exposition personnelle dans un musée. Une œuvre fantasmagorique et jubilatoire qui déborde de vitalité et d'énergie. Jean-Emmanuel Denave


Lolita blonde et solaire, Marlène Mocquet n'est pas du genre à s'embarrasser de concepts lorsqu'elle parle de sa peinture. «Je peins le plus naturellement possible : une touche m'amène à une autre touche qui m'amène à la suivante, etc. Le tableau se fait dans l'action, il ne faut pas chercher plus loin…» Et force est de ressentir, devant ses œuvres, une première impression de fraîcheur, d'énergie et de spontanéité libérant formes et matières. On commence l'exposition par de toutes petites toiles aux titres incongrus tels que : Paysage ensoleillé dans le corps, L'homme attaché au paysage des Betty Boop, Les missiles petites filles, L'ostréiculture humaine. Chaque titre est assez fidèle au contenu des tableaux, aussi fou et farfelu aussi. Quant à l'ostréiculture, la peinture de Marlène Mocquet pourrait être dite proche de la consistance, de la texture et la puissance informelle propres à l'huître. En forçant le trait, on pourrait même y voir quelque chose de l'informe cher à Georges Bataille, que le philosophe illustrait par la notion de crachat. Car, dans un premier temps, chez Marlène Mocquet, ça bave, ça jaillit, ça gerbe, ça pisse, ça dégouline, ça éjacule de partout… Ce sont des empâtements, des boursouflures, des taches, des jaillissements, des geysers, des coulures de peinture de toutes textures. De ce magma informe et aléatoire vont naître des figures, des visages, des monstres, des homoncules, des ectoplasmes, des flux, des vitesses… Tout un univers fantasmagorique et échevelé qui sourd, jaillit, émerge de la matière picturale. La peinture prend vie, naît d'elle-même, s'auto-engendre, accouche de ses propres angoisses, beautés et stridences… Peinture-nerfs
«Les peintres qui ont besoin d'images ne sont pas des peintres», lâche l'artiste. «Je peins au sol ou verticalement, en général assez rapidement, et tout se joue sur la toile, unique raison par elle-même de peindre. Il faut entrer dans un processus et se donner toutes les libertés nécessaires : mouvements, formats, matières. Des visions, des hallucinations apparaissent alors, mais à chaque fois il s'agit d'éviter de faire image». Pas d'images certes, mais des quasi-images, des milieux d'images, des entre-deux d'images, des profils arrachés à la matière, des cris de mouettes qui fusent en traits rapides, des yeux qui s'animent à même les gouttes de peinture. Pas d'images mais une peinture-personnages, une peinture-nerfs, une peinture-organismes… L'essentiel de l'exposition consiste en deux salles immenses où l'artiste a accroché de très grandes toiles récentes côtoyant des formats plus modestes. Tout part d'un geste, d'un accident, d'un mélange, d'une intuition, d'éclaboussures… Et marchent alors les buissons, foncent ou valdinguent les animalcules, surgissent fantômes et ectoplasmes, s'étirent en tous sens des espaces mous ou minéraux, flasques ou solides. «J'ai bouffé beaucoup de bouquins d'art et j'ai comme un disque dur dans ma tête. Tout est bon à prendre : le Surréalisme comme les vieilles croûtes découvertes aux marchés aux puces. Je n'ai pas d'influences directes, mais tout cela travaille inconsciemment dans mes toiles souvent réalisées d'un jet et rarement reprises ensuite». On voit personnellement dans l'univers de Mocquet des montres molles de Dali, des êtres aériens ou fumigènes de Chagall, des bestioles de Bosch ou des martiens de Mars Attacks, des nains de Velasquez ou des délires à la Claude Ponti… Vous y verrez sans doute quantité d'autres choses, tant les toiles sont remplies de détails, pleines et débordantes de vie. Liquide amniotique
On remarquera encore la présence d'une multitude de bouches engloutissant ou recrachant êtres et objets. Ça absorbe et c'est absorbé, ça bouffe et c'est bouffé. La peinture dévore l'artiste qui elle-même la dévore… À la fin de l'exposition, dans une sorte de sas voisin des toilettes du musée, on découvre une dernière petite toile en guise de conclusion : Attaquée par la peinture, où l'on voit une fille nue plaquée contre un mur qui est aspergée, assaillie, par plusieurs personnages-peintures. Comme une sorte d'autoportrait ou d'illustration du principe de création : la jeune peintre est frappée, débordée, dévorée par la peinture qu'elle tente ensuite de maîtriser plus ou moins, de rediriger, d'animer sous d'autres formes et figures. Soit une plongée dans le liquide amniotique pictural pour en remonter, à bout de pinceau, le désordre de la vie et la folie des formes.Marlène Mocquet
Au Musée d'art contemporain, jusqu'au 19 avril.


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