Mots de gorge


Autoportrait / Denis Podalydès représente, dans le cinéma contemporain, ce parfait trait d'union entre un cinéma populaire et des auteurs singuliers, de Desplechin à Haneke. Son statut de sociétaire de la Comédie française, où il mis en scène une version acclamée de Cyrano de Bergerac, achève de brouiller les pistes d'un acteur à la fois cérébral et drôle, ce que son frère Bruno a exploité à la perfection dans Dieu seul me voit. Avec Voix off, première œuvre en tant qu'auteur, entre autobiographie et galerie de portraits, tout devient clair : s'il a trouvé sa voie, c'est par les voix des autres. Autrement dit : c'est par l'écoute attentive, fascinée, envieuse ou admirative des comédiens et metteurs en scène qu'il a croisés que sa sensibilité personnelle s'est façonnée. Le livre est donc constitué d'une cinquantaine de «portraits vocaux», des membres de sa famille jusqu'à ses camarades de conservatoire, en passant par les acteurs qu'il a d'abord entendu interpréter sur des livres-disques les œuvres classiques (Dussollier prêtant sa voix à Proust pour un marathon autour de la Recherche, en particulier) avant de les rencontrer sur les plateaux ou sur les scènes de théâtre. Ce «Je me souviens» auditif est raconté avec le savoir-faire de celui qui sait tenir une assistance ; mieux, qui a consacré une partie de son existence à capter l'attention. Le sommet bouleversant du livre est cependant un moment de mutisme terrible : Jacques Weber, en plein triomphe pendant son Cyrano, soudain bloqué par l'angoisse, sa voix comme «un rat dans la gorge», obligé de quitter la scène et de soigner cette dépression sortie de nulle part. Comme si la force des voix les plus inoubliables cachait une fragilité extrême, un gouffre de terreur qui menacerait à chaque instant de les emporter.Denis Podalydès
Dialogue avec Paul Andreu le vendredi 6 mars à 17h30
«Voix off» (Mercure de France)


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