Grandeur et décadence


Théâtre / Théoriquement, le projet était passionnant. André Engel retrouve Michel Piccoli, trois ans après leur Roi Lear, pour monter Minetti de Thomas Bernhard. Soit un acteur en fâcheux déclin, sur la pente raide de la nostalgie logorrhéique des faits d'armes passés, qui débarque dans un hôtel d'Ostende, pour un rendez-vous avec un directeur de théâtre souhaitant le voir interpréter… Le Roi Lear ! Au jeu de la mise en abyme, le vice est poussé à son paroxysme : Michel Piccoli, monstre sacré rattrapé par le poids des années, accuse des problèmes de mémoire intégrés vaille que vaille à la pièce. Perdu dans un décor outrageusement rococo comme dans une mise en scène statique, cherchant autant ses marques que son texte (nous sommes alors quelques jours après la première), le comédien entretient à ce point le parallèle avec son personnage qu'on ne peut passer outre une malséante impression de voyeurisme face à ce monument voûté, exposé crûment à notre regard dans toute sa présente fragilité. On se raccroche alors aux mots souvent cinglants de Bernhard sur la chose théâtrale, ses réflexions acerbes sur les rapports entre artistes et public qu'il se plaît à mettre dans la bouche du vieil artiste. Au fil de la pièce, Michel Piccoli gagne en assurance, semble se griser des paroles qu'il assène à un rythme plus soutenu. Une chanson de Tom Waits retentit soudain d'un vieux magnétophone, la neige continue de tomber, on commence à ressentir l'émotion qu'on recherchait depuis le début. Las, nous sommes à la fin du spectacle… François CauMinetti
Au Studio 24, du 18 au 28 mars.


<< article précédent
La Fille du RER