À Block de polar

Festival / L'écrivain américain Lawrence Block sera l'attraction du cinquième Quais du polar. Son œuvre, foisonnante et variée, fait de lui une véritable légende du roman noir contemporain. Yann Nicol


Les amateurs de Wong Kar Wai auront peut-être remarqué que le scénario de son dernier film, My Blueberry Nights, avait été écrit en collaboration avec un certain Lawrence Block, que les fans de polars connaissent, eux, mieux que Norah Jones et Cat Power réunies. Il faut dire que le bonhomme, qui est entré en littérature dans les années 60 avec une série de romans noirs assez insolites, a depuis construit une œuvre colossale par sa dimension autant que par sa variété : une soixantaine de romans, une centaine de nouvelles, quelques livres théoriques et donc plusieurs collaborations avec le 7ème art (son roman, Huit millions de morts en sursis, avait notamment été adapté au cinéma avec Jeff Bridges dans le rôle de son enquêteur fétiche, Matt Scudder). Deux de ses premiers textes, qui viennent d'ailleurs d'être réédité au Seuil sous le titre Mensonges en tous genres, symbolisent les premiers pas de Block dans le polar avant qu'il ne crée, à partir des années 70, les personnages récurrents qui le feront entrer dans le panthéon du genre. On y retrouve deux intrigues qui fleurent bon le roman de gare, mais que l'écrivain américain sait déjà sublimer grâce à deux qualités qui en font un auteur à part : la rigueur narrative (donc la maîtrise du suspense) et la distance ironique (donc la force de l'humour). Car ce qui fait la particularité de Lawrence Bock, c'est précisément cette faculté de brasser les registres et les genres tout en conservant une patte reconnaissable entre toutes. La parution de son dernier roman, Heureux au jeu (Seuil Policiers), vient une nouvelle fois confirmer cette alternance…Des héros et des genres
Né en 1938, Lawrence Block s'inscrit dans une génération d'auteurs américains dont le symbole est Donald Westlake. Comme lui, il est un adepte du pseudonyme. Comme lui, il est capable de créer des héros récurrents qui traversent les époques sans perdre de leur intensité. Comme lui, il développe une œuvre multiple, dans laquelle on retrouve de nombreux courants différents : le récit d'espionnage, avec l'espion insomniaque qui ne dort que d'un œil ; le roman noir avec un personnage de «Hard-Boiled» directement inspiré de Hammett ou Chandler ; le récit à intrigue, teinté d'humour délirant avec pour héros un cambrioleur de seconde zone ; le thriller, avec la mise en scène d'un tueur à gages… Le plus ancien de ces personnages est précisément l'«espion qui ne dormait jamais». Nommé Evan Tanner, cet ancien de la Guerre de Corée a fait son apparition en 1967 dans Le Voleur insomniaque puis est réapparu, après plusieurs années d'absence (en 1998), dans La Longue nuit du sans sommeil. Il y eut ensuite le libraire cambrioleur, Bernie Rhodenbarr (qui n'est pas sans nous rappeler le Dortmunder de Donald Westlake), un personnage burlesque aux aventures rocambolesques qui permet à Block de livrer des romans particulièrement délirants et drôles (Le Bogart de la cambriole, Le Cambrioleur en maraude…). Si le dernier-né de ses héros récurrents, le tueur à gages John Keller, est sans doute destiné à grandir, il n'est pour l'instant qu'un embryon, au regard du grand personnage de Lawrence Block, le privé Matt Scudder…Un privé dans la légende
De Sherlock Holmes à Harry Bosch en passant par Sam Spade, Phil Marlowe ou Nestor Burma, le détective privé constitue une figure imposée pour tout auteur de roman noir qui se respecte. Lawrence Block s'y colle avec un bonheur particulier, en créant un personnage qui est à la fois le précipité de tous les codes du genre et le symbole de leur transgression possible : ex-flic reconverti en détective privé suite à une intervention qui tourne mal, solitaire et alcoolique, Matt Scudder devient petit à petit un autre homme en cessant de boire et en traquant le mal… Outre le savoir-faire de Block pour tricoter des intrigues, incarner des personnages, développer des ramifications narratives, le succès de la série repose sur la force de ce personnage principal. Au fil des livres (du Péché des pères, en 1976, à Les Fleurs meurent aussi, en 2004) le lecteur fidèle suivra ainsi autant la trajectoire personnelle de Scudder que l'évolution, palpable, de la société américaine, du crime, et de la ville de New York. Une maîtrise du héros récurrent qui n'est pas si évidente que cela à réaliser, et qui place Lawrence Block et son privé Matt Scudder parmi les très grands du genre…


<< article précédent
Contrastes du Rwanda