Carpenter est vivant !

L'Épouvantable vendredi, rendez-vous mensuel de l'Institut Lumière destiné aux amateurs de cinéma fantastique, rend hommage à l'immense John Carpenter en trois films singuliers dans son parcours exceptionnel. Christophe Chabert


Le cinéma de John Carpenter nous manque. Depuis Ghosts of mars, il n'a plus tourné pour le grand écran, se contentant de signer deux épisodes de la série Masters of horror (voir encadré). Régulièrement, les sites internet promettent son retour, mais telle la sœur Anne de Barbe-Bleue, nous ne voyons rien venir. Reste donc son œuvre passée. Multidiffusée sur le câble, championne de l'édition DVD, elle forme un ensemble indémodable qui légitime l'emploi du terme pourtant galvaudé d'auteur. Les films de Carpenter, c'est la quintessence de ce qui fait qu'on aime le cinéma : personnels et divertissants, porteurs de valeurs et portés par un regard unique. Le regard de Carpenter lave celui du cinéphile, abîmé par trop de sophistications et rayé par le cynisme. Revoir du Carpenter, c'est se redonner une virginité ; grâce à L'Épouvantable vendredi de l'Institut Lumière, on pourra le faire cette semaine sur grand écran où l'art de ce génie du cinémascope trouve sa juste dimension.

Horreur et épistémologie

Quand Carpenter tourne en 1987 Prince des Ténèbres, il sort d'une énorme crise : l'échec des Aventures de Jack Burton entraîne son licenciement des studios hollywoodiens, qui l'avaient accueilli à bras ouverts cinq ans plus tôt pour y tourner The Thing. Il trouve alors refuge chez un producteur indépendant et réalise pour une poignée de dollars une série B en huis clos racontant le retour du Diable sur terre dans une église d'un quartier pauvre de Los Angeles. Dès le générique (huit minutes !), les notes de synthétiseurs entêtantes pianotées par Carpenter lui-même et l'exposition d'une dizaine de personnages (jeunes scientifiques et vieux prêtre interprété par un compagnon de longue date, Donald Pleasance) en une série de vignettes à l'économie figurative fulgurante, disent l'ambition du cinéaste : le retour aux fondamentaux du genre, esthétiques d'abord, thématiques ensuite. Le mal guette et la peur s'installe en un crescendo flippant où clochards menaçants, cuve remplie de liquide verdâtre et humains contaminés se déchirant les chairs sous l'emprise du malin dessinent une épure de film d'horreur. À ceci près qu'aux antiques croyances religieuses, Carpenter appose la rigueur de la physique quantique. Science et foi devront s'unir dans l'action, comme le flic et le hors-la-loi devaient joindre leurs efforts pour repousser l'Assaut sur le central 13 dans son deuxième film. Disciple d'Howard Hawks, Carpenter pense comme lui que l'homme ne se transcende pas face à l'ennemi, mais qu'il optimise ses talents et affirme ses valeurs dans l'adversité.

Angoisse et littérature

Après des hauts (Invasion Los Angeles, brûlot politique phénoménal) et des bas (Les Aventures d'un homme invisible, qu'il reniera au point de ne pas y poser sa signature), Carpenter s'empare d'un scénario écrit par Mike De Luca qu'il transforme en réflexion sur son propre cinéma. L'Antre de la Folie (1994) montre un inspecteur cynique (Sam Neill) enquêter sur la disparition de Sutter Cane, auteur de romans d'horreur, jusqu'à découvrir que le monde inventé dans ses fictions est en train de devenir une réalité effrayante. La fascination des lecteurs pour son œuvre se transforme en folie meurtrière, et l'écrivain lui-même finit par n'être qu'une page déchirée ouvrant sur un outre-monde lovecraftien d'où se déversent des monstres terrifiants. Le film pose subtilement la question de la juste distance entre la fiction et le spectateur : du scepticisme critique à la croyance fanatique, les deux personnages du film finiront enfermés dans un même récit, à savoir un film de John Carpenter !

Fantastique et religion

Avant-dernier film en date de Carpenter, Vampires (1998) réalise un fantasme du cinéaste : tourner un western. Certes, celui-ci est peuplé de vampires gothiques et blafards, mais de Hawks à Leone en passant par Peckinpah, Vampires regorge de références explicites au genre préféré de Carpenter. La bande de mercenaires emmenés par un chef individualiste et couillu (James Woods) vont rencontrer en cours de route un danger bien plus grand que celui de ces créatures de la nuit. Un cardinal qui, las d'attendre le jugement dernier, succombe à la promesse d'immortalité faite par les vampires. Carpenter règle ainsi ses comptes avec l'Église, montrant l'alliance objective entre le «Bien» et le «Mal». Dans les interviews qu'il donnait à l'époque, le cinéaste laissait entendre que ce coup de griffe trouvait sa source dans un événement traumatique survenu durant son enfance. Ultime pirouette en forme de retour à zéro : l'œuvre de Carpenter n'est peut-être que le long exorcisme d'une blessure fondatrice.

L'Épouvantable vendredi : hommage à John Carpenter
À l'Institut Lumière, vendredi 15 mai.


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